En ce week-end encore chaleureux de mi-septembre, journées du patrimoine obligent, nous voici en quête de nouveaux lieux à arpenter. Revigorés par le discours jubilatoire de Stéphane Bern qui nous enjoint à dépenser notre pécule pour participer à son grand loto et ainsi restaurer nos chers monuments français, c’est au parc Georges-Valbon que nous atterrissons donc.

Nous découvrons alors non pas un patrimoine « en péril » dixit son vaillant défenseur, mais un monument des plus vivants, une véritable ruche humaine ! Ce sont les 600 000 participants de la Fête de l’Humanité qui assistent à un concentré de concerts, de projections de films, de débats et de rencontres. Les heures de rendez-vous sous les chapiteaux du site s’enchaînent et se chevauchent. On a beau être ambitieux, traverser au pas de course l’avenue Martin Luther King pour rejoindre la place Marguerite Yourcenar, calculer son temps minute par minute, on ne pourra pas tout faire. Des espoirs, quelques déceptions, mais qu’importe, le PCF a désormais l’habitude des défaites.

Ce n’est donc pas 5 Minutes au Paradis comme le chante Bernard Lavilliers dans son dernier album mais bel et bien 3 jours que nous passons à la Courneuve. En effet, c’est traditionnellement le jardin d’Eden pour les fidèles de la solidarité, de la fraternité et du partage. Un lieu utopique ? Des valeurs surannées ? Une atmosphère naïve, bon enfant et peu au fait des problématiques contemporaines ? C’est bien ce que tous les sceptiques pourraient s’imaginer. Pourtant, le public est jeune et fringant dans l’ensemble et ne connaît pas forcément les paroles de l’Internationale sur le bout des doigts. Mais pourquoi un tel succès alors que la Fête de l’Huma est organisée par un journal dont le discours communiste ne touche plus vraiment les consciences d’aujourd’hui ? Une programmation plus humble et ouverte aux avis pluriels peut-être.

Les ambitions de l’événement sont ainsi plus modestes et sûrement plus réalistes pour satisfaire les festivaliers et ne pas exclure ceux qui n’écoutent pas forcément la chanson française, qui ne sont pas de fervents travailleurs syndiqués et qui ne désirent pas ingurgiter un sandwich merguez concocté par les cocos. Les nombreux stands du parti restent fidèles aux sandwichs, aux kebabs et aux frites mais ils laissent aussi quelques périmètres pour d’autres sortes de restaurants, des crêperies, des guinguettes vegan et surtout pour le Village du Monde qui accueille des exposants, associations, partis politiques de gauche et cuisiniers de tous les pays, plutôt appréciables.

Certes, pour l’écologie, on repassera une autre fois : après le flot des participants éclipsé, le sol reste jonché de verres en plastique écrasés, nourriture abandonnée et semblants de poubelles éventrées. Le système de toilettes sèches semble un peu trop hippie aux yeux des organisateurs. Néanmoins, alors qu’il fut créé dans les années 30 par le journal communiste L’Humanité pour récolter des fonds, le festival n’est plus l’apanage du PCF mais un week-end festif, moderne, curieux et ouvert à la nouveauté, comme en témoignent le débat sur le statut de travail des Youtubeurs, la présence du rappeur belge Roméo Elvis ou encore celle du nouveau mouvement de Benoît Hamon, Génération.s, pour la deuxième année consécutive. Bien sûr, un filloniste se sentirait a priori de trop ici mais les 50 hectares du parc de la Courneuve sont aussi inclusifs que la gauche actuelle éclatée. Alors que quelques députés de La France Insoumise devaient venir participer à des débats, ils ont indiqué la veille de l’événement dans un communiqué qu’ils souhaitaient se distinguer par leur absence. Finalement, le PC et son fidèle journal se transforment en experts logisticiens devant gérer plus de 60 concerts, 450 stands français et internationaux, 200 débats, sans parler des expositions, films, spectacles et du Village du livre qui accueille 200 auteurs. Le meeting politique laisse donc place à la fête populaire, aux divergences d’esprit et aux sponsors yankees. Élargir la programmation apparaît finalement comme une nécessité pour garantir la vitalité du festival.

A l’affiche donc, des habitués de la Fête de l’Huma tels que Bernard Lavilliers et Julien Clerc, des rockeurs qui assurent le show (Franz Ferdinand, No One Is Innocent, The Kinds, entre autres), de l’électro avec Acid Arab et Manu le Malin pour danser jusqu’au bout de la nuit, des rappeurs, parfois assez mainstream comme Big Flo & Oli, bref on aurait tort de croire qu’une telle offre n’ait pas autant (voire plus) attiré les foules que la présence du PCF. Mais tous ces artistes sont-ils foncièrement communistes ? Ne représentent-ils pas une société à la consommation effrénée et pas forcément bolchéviko-compatible ? Sûrement mais ils ont au moins le mérite d’être représentatifs de la société française, multi-générationnelle, plus seulement composée de prolos et d’ouvriers, mais également d’indépendants, de start-upers, de salariés associés dans des coopératives, d’étudiants, de chômeurs, de retraités, etc. Les débats qui se déroulent durant ces trois jours sont donc moins revendicatifs pour les droits des travailleurs que tournés vers des réflexions sur des changements concernant notre système économique et notre modèle de société. Certains osent même évoquer la loi de 2014 sur l’Economie Sociale et Solidaire passée assez inaperçue. Déconstruire le schéma traditionnel patron-ouvriers pour repenser le travail, mais aussi l’engagement associatif, et finalement l’organisation du temps qui constitue la vie de chacun. Ce n’est plus une lutte des classes mais un droit à l’existence paisible qui devient le fil rouge de cette fête. Et finalement André Breton avait peut-être déjà pressenti cela en quittant le Parti communiste en 1935 : « transformer le monde, a dit Marx. Changer la vie, a dit Rimbaud. Ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un. »