London Calling

Dans les années 1990, les premiers réfugiés des guerres du Kosovo, d’Afghanistan ou d’Irak s’exilent vers l’Europe de l’ouest. Leur Eldorado, c’est l’Angleterre. En plus de maîtriser la langue, le néo-libéralisme salvateur amorcé par la politique de Thatcher promet à ces jeunes (et moins jeunes) l’accès à un emploi assez facilement, car ce marché du travail libéral est peu regardant, tant sur la légalité de la présence sur le territoire des travailleurs que sur leur salaire, ou leur protection sociale. Surtout, ces réfugiés ne sont pas les premiers à avoir eu l’idée. Il suivent souvent leurs réseaux, leur famille, dans le choix du pays d’immigration. Logique, alors, que les générations suivantes soient désireuses du même idylle anglo-saxon. La France, très regardante sur le code du travail, parait de plus comme plus hostile à l’immigration, à l’inverse de Londres, cette ville qui a élu maire un travailliste issu de l’immigration pakistanaise, Sadiq Khan.

A la lecture de ces lignes, certains auront pour premier réflexe la vexation, la contre-argumentation pour défendre le modèle français d’intégration, la « laïcité à la française », qui plus est si bien exercée par nos élites, et ce ne sont pas Mrs Blanquer et Castaner qui oseront me contredire. Oui, la France est moins attractive pour les migrants. Tant mieux dira d’ailleurs votre oncle un peu trop aviné au prochain noël. En réalité, ce n’est pas le modèle français qui pose problème, mais l’idéalisation du Royaume-Uni, qui pourtant a plus que durci sa politique migratoire, sans prévenir les principaux intéressés. Westminster fait fit des débats partisans depuis des années pour imposer un régime particulièrement dur à ceux qui rêvent de faire partie du melting-pot.

We want our country back!

Il semble en effet que l’Angleterre soit peuplé en partie de gens comme votre tonton aviné. Avec la campagne pour le Brexit, la haine anti-migrants s’est propagée massivement. Responsables de tous les malheurs du pays, ils sont devenus à leur tour bouc émissaire des frustrations populaires. Mais les pro-brexit n’ont fait qu’attiser le flammes d’un feu qui brûle depuis bien plus longtemps. Le libéralisme anglais, dans son essence économique et politique est ouvert vers le monde, pour la libre circulation des biens et des personnes, puisque celles-ci représentent un capital travail essentiel à la production nationale et internationale. Ce pilier majeur de la philosophie britannique s’est depuis toujours heurté à l’esprit conservateur traditionnaliste, soucieux de préserver l’esprit d’un peuple insulaire, et particulier, voir supérieur au reste du Continent. C’est à cet esprit que s’adressent les Nigel Farage et autres UKIP.

En fait, nul besoin d’aller voir vers l’extrême droite ou l’esprit mythifié du corps populaire britannique pour constater que la politique migratoire n’est depuis quelque temps plus si ouverte. En 2003, les accords du Touquet placent artificiellement la frontière migratoire à Calais, dans le but de renforcer les contrôles par les polices françaises et britanniques. Institutionnellement, il est bien plus dur d’obtenir l’asile au Royaume-Uni qu’en France ou en Allemagne par exemple. Si les proportions sont bien différentes (15 618 demandeurs d’asiles en Angleterre en 2017 contre 722 000 en Allemagne l’année suivante), seul ¼ des demandeurs d’asile l’obtiennent en Angleterre, contre presque la moitié en Allemagne et en France.

Aux frontières du légal

« DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES : Le gouvernement a encore étendu les contrôles ayant trait à l’immigration dans la sphère publique et privée, collectant des données relatives à la nationalité et au pays de naissance des enfants dans les écoles et multipliant les vérifications concernant la nationalité et la situation au regard de la législation sur l’immigration lors de l’accès aux soins de santé gratuits. » ; « En septembre, le gouvernement a présenté un projet de loi sur la protection des données qui comportait une disposition supprimant certaines garanties fondamentales lors de la collecte, la détention et l’utilisation de données personnelles à des fins de « contrôle efficace de l’immigration ». » ; « 480 réfugiés mineurs isolés qui se trouvaient déjà en Europe devaient être réinstallés au Royaume-Uni. Aucun mineur n’a été réinstallé en 2017, alors même que 280 places avaient été mises à leur disposition par des autorités locales. » ; « En octobre, la Haute Cour de justice a jugé illégale la politique du ministère de l’Intérieur sur les « adultes vulnérables », concernant le placement en rétention de personnes ayant été victimes de torture. »
rapport d’Amnesty International sur La situation des Droits de L’Homme dans le monde, 2017/2018

La politique du ministère de l’Intérieur jugée illégale. Il s’agit ici d’une atteinte à la dignité humaine, reconnue par le préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Le Royaume-Uni est le seul pays sans durée prédéfinie de rétention pour les migrants, entre leur demande d’asile et leur traitement. Le documentaire Britain Detained – Immigration Detention in the UK de Ross Field, en avril 2019 s’attarde sur ce phénomène. Dans des bâtiments assimilables en tous points à de prisons, les différentes nationalités sont mélangées sans tenir compte des conflits extra et intraétatiques qui ont conduis ces individus à s’exiler au Nord de l’Europe. Femmes enceintes, enfants, victimes de tortures sont envoyés dans cet univers carcéral d’autant plus angoissant que « la seule différence avec une prison, c’est qu’en prison on sait quand on va sortir », d’après Stephen Shaw, expert en politiques carcérales. Il est déjà arrivé qu’un migrant patiente pendant 5 ans dans sa cellule d’accueil. Paroxysme odieux de cette politique pénitentiaire, à ceux qui préfèrent retourner dans leur pays en guerre, abandonner tout espoir d’ascension sociale dans un monde sensé être plus globalisé que jamais, l’administration leur dit d’attendre bien tranquillement dans leur centre de rétention.

Depuis 2008, le budget du système d’asile britannique s’est vu drastiquement réduit. Ce sont alors de grandes compagnies privées, guidées par de seuls intérêts de rentabilité économique qui prennent en charge l’accueil des migrants en Angleterre, comme ailleurs, notamment à Lampedusa, une des porte d’entrée majeure des migrations en Europe. La recherche absolue du profit, couplée à un environnement xénophobe ne peut que faire ressortir le pire de l’humanité. C’est une chose que de se dire contraint par le système européen de pratiquer des politiques d’accueils non-optimales, même si c’est un discours plus que contestable. C’en est une autre que d’en oublier le Droit et le respect de la dignité humaine. La rationalisation du politique ne semble plus même connaitre les contraintes non pas que la morale exige, mais que l’humanité requiert.