L’alcool est la drogue sociale par excellence et les étudiants sont bien placés pour le savoir. La traditionnelle sauterie du jeudi soir, le pot au bar après une journée de cours bien chargée, la soirée pour fêter la fin des partiels ; autant de rendez-vous aujourd’hui rendus nuls et non avenus, Covid oblige. Selon une étude américaine publiée dans le Journal of Studies on Alcohol and Drugs en décembre 2020, la consommation d’alcool des étudiants a baissé depuis le début de la crise sanitaire, faute d’interactions sociales. Pour certains d’entre eux néanmoins, l’équation n’est pas aussi simple. Alors que les limites du possible se réduisent comme peau de chagrin, les quatre murs d’un vingt mètres carrés ont vite fait de se transformer en piège de cristal. Quand le social n’est plus mais que l’alcool reste, l’addiction remplace la feue convivialité. 

Pièces vides, verre plein

« Le soir, je n’étais jamais chez moi d’habitude, et là je me retrouvais dans un appart’, à Paris, complètement enfermée. Donc oui, je comblais le manque de sortie et d’interactions sociales par l’alcool. » raconte Marie*, vingt ans, plongée dans ses souvenirs de confinement. Elle se décrit comme une « fêtarde » avec un certain « terrain addictif ». Du fait de l’arrêt brutal de sa vie sociale, cette étudiante en droit a rapidement versé dans une consommation solitaire. « Avec ces deux confinements, la solitude a été super dure à supporter, j’ai passé le premier confinement à boire quasiment tous les jours seule, je multipliais les apéros Face Time pour me dédouaner » avoue-t-elle. 

Le verre de vin partagé avec des amis entre écrans interposés est vite apparu comme une solution de fortune pour contourner la fermeture des lieux jusque-là prévus à cet effet. Catherine Simon, psychiatre et vice-présidente de l’ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie) alerte sur cette pratique et souligne que « sous couvert de sociabilité, le produit le plus utilisé en tant qu’anxiolytique est l’alcool. On voit bien dans ce contexte que la consommation du produit a une fonction moins sociale que destressante. »

Une situation marginale ?

Le témoignage de Marie fait directement écho à celui de Coline Gilsoul. Cette étudiante de 23 ans a décidé de prendre la parole, le 22 novembre 2020 sur RTL Info, une chaîne de télévision belge, pour évoquer son addiction rampante, gagnant de plus en plus de terrain à mesure que les jours de confinement s’accumulaient. Si elle assure avoir eu la « force de se reprendre en main », son témoignage n’en reste pas moins glaçant. « Il n’y a plus que l’alcool pour évacuer ; plus de sport, plus d’activités, plus de contact social… les larmes, c’est notre meilleur ami. » 

Pierre*, 21 ans, étudiant en master de psychologie, affirme s’être rendu compte lors du premier confinement que sa consommation « n’était pas si normale », et avoir vécu le second comme une période « particulièrement angoissante ». S’il qualifie sa consommation actuelle de « presque normale », il confie dans le même temps « qu’à partir du moment où [il] commence à être entamé, [il] bois non-stop jusqu’à [s]‘endormir. »

« Depuis quelque temps, c’est chaud, je me biture seul devant mon ordi, je fais des memes [photomontage à caractère humoristique], je danse, je chante, je m’amuse quoi, mais je suis seul. […] Je commence à voir un plus gros problème derrière. Par exemple, aujourd’hui, je suis allé faire des courses pour faire des macarons bah… j’ai acheté un pack de bière pour picoler ce soir » témoigne de son côté Mehdi*, étudiant en licence 3 d’Histoire à Lille. 

Solitude

Ces témoignages convergent en un point : la perte de contrôle d’une consommation jusque-là sociale, due à un isolement total. De confinement en couvre-feu, le poids des cours à distance couplé à l’absence de moyens pour évacuer la tension a pu avoir des conséquences dramatiques. Marie se souvient à cet égard d’un « sentiment de solitude envahissant qui a été vraiment hyper compliqué à gérer, notamment à cause du stress des cours à distance. » 

Emilie*, étudiante en kiné à Rouen, rencontre ce problème par procuration. Depuis le début des mesures de restrictions sanitaires, l’un de ses meilleurs amis est en proie à une consommation de plus en plus problématique. « Il a toujours un peu bu mais aujourd’hui, maintenant qu’il est seul dans son appartement, c’est tous les soirs, […] il ne sort plus, ne bouge plus et à beaucoup de troubles de la mémoire. Il passe ses soirées à boire et à jouer sur son téléphone dans son fauteuil… » 

Sortir de l’engrenage 

Entre la difficulté de trouver un interlocuteur, l’incapacité de se rendre disponible avant le couvre-feu, ou encore l’absence de prévention, les embryons de solution ont vite fait de se transformer en impasse. Marie explique avoir eu du mal à en parler : « C’est un peu honteux comme truc. Je viens d’un milieu où ce n’est pas très banalisé. Mes parents sont médecins, je suis à Assas… » Elle a finalement sauté le pas, et voit depuis un addictologue. 

Pierre, de son côté, est en relation avec des structures spécialisées, qu’il connaissait déjà avant en raison « d’un trouble psychiatrique diagnostiqué ». 

Les services universitaires de médecine préventive assurent également une assistance médicale et psychologique aux étudiants qui en font la demande. 

Un avenir sous la brume 

Il semble difficile de chiffrer avec précision l’impact des mesures sanitaires en matière d’addiction à l’alcool chez les étudiants. Ces dernières semaines néanmoins, les récits témoignant d’une solitude croissante chez la génération estudiantine s’amoncellent. À force d’y rester enfermé, le « chez soi » risque de devenir de plus en plus une cage, un espace où les murs se muent en miroir, où l’impossibilité d’échapper aux maux du quotidien se fait de plus en plus flagrante.

(*) : Afin de préserver l’anonymat des personnes qui témoignent, les prénoms ont été changés.