Les printemps arabes en 2011 avaient fait surgir pour la première fois depuis longtemps le pouvoir du peuple dans des régimes perçus en Europe comme rigides, horizontaux et structurellement résistants contre toute tentative de changement. Il eut seulement fallu oser, ce que la Tunisie fit en premier, pour provoquer une vague de contestation massive au Maghreb et au Moyen-Orient. Mais curieusement, l’Algérie fit défaut à ce mouvement.

Curieusement, parce que le président Bouteflika était déjà en 2011 aussi vif que son programme de réforme (c’est-à-dire quasiment immobile), dans un pays marqué dans son histoire par une forte politisation et une jeunesse très forte, les moins de 30 ans représentant effectivement la moitié de la population. L’immobilisme de la population peut s’expliquer par la mémoire de la guerre civile, ravageuse dans les années 1990, dont le pays paie encore le tribut. Seulement, à force de se montrer « raisonnable », les algériens se heurtent à l’insensée de la situation politique, le président Bouteflika étant physiquement incapable de gouverner, de représenter la nation à l’extérieur comme à l’intérieur du pays. Alors, quand ce président fantôme et fantoche « annonce » sa candidature pour un 5ème mandat consécutif en février 2019, la colère monte enfin et se structure surtout.

Des milliers de personnes sortent alors dans la rue, sans crainte, pour exprimer leur opposition à la candidature de Bouteflika. Un pays jeune ne peut plus être gouverné par un vieil homme et cela, quel que soit sa stature dans l’histoire du pays. Un mouvement se forme « Hirak » (littéralement « mouvement ») face à un système politique statique. Il réclame en premier lieu le départ de Bouteflika, finalement obtenu le 28 avril, après la défection à demi-mot d’un de ses plus fidèles bras droits le général Gaïd Salah. Se voulant garant de la stabilité du pays, Gaïd Salah met en place une élection présidentielle.

Happy Ending ?

Est-ce alors le retour du calme et la pacification du pays comme voulu par Salah ? L’élection est marquée par un taux d’abstention record de 60.12%, et désigne Abdelmadjid Tebboune comme nouveau président. Pas vraiment un renouveau, puisque ce dernier est un proche de Bouteflika, alors sept fois ministre, avec cinq portefeuilles différents (il était ministre de la défense nationale jusqu’aux soulèvements de 2019) et premier ministre de mai à août 2017. Pas de quoi apaiser les algériens rêvant d’un régime enfin plus démocratique et représentatif…

 «On parlait auparavant d’un peuple sans Président lorsque Bouteflika a démissionné ; aujourd’hui, on parle d’un Président sans peuple parce que la population adresse, en fait, un message de défiance par rapport au nouveau Président»

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

Les « nouveaux » dirigeants ne sont pas non plus prêts à plier. Pour Tebboune, les revendications des manifestants ont été satisfaites, par Gaïd Salah : arrestations en chaîne des hauts responsables de l’administration Bouteflika, compromis dans diverses affaires de malversations et de corruption, destitution du Président Bouteflika et tenue d’une nouvelle élection. Le Hirak n’aurait alors plus de raison de subsister, il subsiste pourtant, un an après les premières vagues du mouvement.  

Pas encore fini

Le vendredi 21 février 2020, la foule s’est de nouveau réunie dans les rues des grandes villes d’Algérie. Alger, Constantine et Oran sont investies par le peuple qui réclame un « État civil et non militaire ». Le Hirak est bien en vie et a encore plus envie de vivre aujourd’hui qu’il y a un an. Une fois la porte de la contestation ouverte, il est dur de la refermer par des actes politiques de façade, en ne changeant au fond pas grand-chose à la nature même du régime. Que ce soit Bouteflika ou Tebboune affiché sur les murs des mairies, c’est bien l’armée qui gouverne l’Algérie. Preuve de la persistance de l’emprise militaire, l’Etat-major a été le seul organe du pouvoir épargné par les purges de Gaïd Salah. Tebboune sert de contre-feu, de paravent tentant de cacher les réalités du pouvoir, finalement inchangées depuis l’indépendance du pays en 1962. Mais plus personne n’est dupe, ou bien fait semblant de l’être, par peur de faire resurgir une conflictualité qui fut autrefois sanglante. Non, aujourd’hui, l’arme la plus massive des citoyens algérien est bien la manifestation pacifique, la volonté de retrouver une « nouvelle indépendance ».

 « Jamais la promesse de la libération n’a semblé aussi accessible en Algérie ». (J P Filliu, Algérie, la nouvelle indépendance, décembre 2019

Jean-Pierre Filliu, Algérie, la nouvelle indépendance, décembre 2019