Si les coureurs sont ravis de retrouver un terrain de jeu diversifié, où les plateaux rocheux côtoient de vastes étendues de sable fin, la décision d’installer le rallye en terre saoudienne pour les cinq prochaines années ne fait pas l’unanimité. Les ONG, comme la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), dénoncent la répression exercée par le régime en vigueur. Une nouvelle polémique dont la course, critiquée pour son impact environnemental et ses nombreux accidents, se serait bien passée.
Un sommet du sport mécanique…
Incontournable aujourd’hui, le Rallye Dakar est le second évènement de sport mécanique le plus populaire, derrière la F1 (source : repucom). Diffusée dans près de 190 pays (source : dakar.com), il permet aux constructeurs de mettre en avant les nouveaux modèles de voitures (bien que largement modifiés). Et, avec 12H de programme quotidien, répartis entre TV et contenus web, cette publicité gratuite semble être une aubaine pour les écuries. Pour les pays traversés également. En 2014, le géant français de événementiel sportif Amaury Sport Organisation (ASO), gérant du rallye et, entre autres, du Tour de France, estimait des retombées à hauteur de 300 millions de dollars pour ceux-ci. Et plus qu’une course, c’est un label emblématique qui s’exporte aujourd’hui.
« Le Dakar » a toujours réuni le gratin du rallye mondial. Il s’est forgé une réputation dans le sillage de ses champions et fait souvent office d’après carrière pour des pilotes qui quittent le WRC comme Sébastien Loeb, ou plus rarement, la Formule 1… En effet, Fernando Alonso, champion du monde de F1 en 2005 et 2006, participe en auto, accompagné de Marc Coma, quintuple vainqueur du rallye à moto. Le classement est d’ailleurs dominé par un de ses compatriotes, le quinquagénaire Carlos Sainz (vainqueur en 2010 et 2018) qui devance Nasser al-Attiyah (Qatar), triple vainqueur (2011, 2015, 2019). A l’affut derrière, la légende française, Stéphane Peterhansel alias Monsieur Dakar (6 victoires à moto, 7 en auto). Sur les autres classements, Ricky Brabec (USA) fait la course en tête à moto, tandis que les Russes confirment leur hégémonie en camion.
…à la sécurité controversée.
Mais, dimanche, le rallye a vu resurgir ses vieux démons. Le motard portugais, Paulo Gonçalves, 40 ans, a perdu la vie après une chute lors de la 7ème étape. Cette « figure » du rallye rejoint la liste tristement longue des victimes de la course. Si aucune d’elles n’était à déplorer depuis 2015 et le décès pilote polonais Michal Hernik, victime d’hyperthermie, 25 coureurs sont morts sur les routes du Dakar depuis sa création en 1978. Perte de contrôle, vitesse démesurée, irrégularité du terrain ou même explosion de mine, les pilotes, et de surcroît les motards, sont exposés à tous les risques dans la solitude du désert. En 2006, l’organisation a pourtant décidé de limiter la vitesse des motards à 160km/h face aux critiques.
De plus, la sécurité des pilotes n’est pas la seule à faire défaut. Dans son intégralité, le Dakar a causé la mort de 74 personnes, spectateurs, journalistes, personnels médicales ou simplement, civil… Deux éditions viennent particulièrement alourdir le bilan. En 1988 où huit personnes trouvent la mort dont trois civils. Et deux ans plus tôt, lorsque, le 14 janvier 1986, l’hélicoptère transportant Daniel Balavoine, Thierry Sabine (organisateur du Rallye), Nathalie Odent (journaliste au JDD), Jean-Paul Le Fur (technicien radio) et François-Xavier Bagnoud (pilote) se crache en plein désert alors que la course avait déjà fait deux victimes. La polémique qui suivit cet accident aura malencontreusement contribué à bâtir la légende du Dakar.
Si les accidents font partie des courses automobiles, on ne peut pas occulter les nombreux civils, victimes collatérales du Dakar. Une fillette mauritanienne en 1998, une Sénégalaise en 2005, un spectateur bolivien en 2016… On vous épargne les autres exemples macabres de cette frénésie, on ne voudrait pas énerver Renaud. En réponse, ASO s’est engagée à sécuriser les zones dédiées aux fans (plus de soixante) alors que la traversé des villages est depuis longtemps limitée à 50km/h sous peine de sanctions.
Un outil politique
Outre la sécurité routière, la sécurité globale du rallye occupe régulièrement l’attention. La course, traversant historiquement le Sahel, subit les aléas de contextes géopolitiques instables. C’est ce qui a conduit l’organisation, face à la menace terroriste en Mauritanie, à annuler l’édition 2008 puis à délocaliser le rallye outre-Atlantique ces onze dernières années. En 1991, un pilote français de camion d’assistance, Charles Cabannes avait fait les frais de groupes armés au Mali (tué par balles). Dès lors, le choix de l’Arabie Saoudite semble également s’inscrire dans un contexte de sûreté : un seul pays, un désert moins vaste, jalonné par de multiples grandes villes. Seule la présence des pilotes qataris dont le pays est en conflit avec son voisin, pourrait venir troubler ce calme. Mais si la sécurité est au rendez-vous, la polémique n’a rien à lui envier.
L’attribution du Rallye au pays du Golfe fait grincer les dents des partisans d’un sport intègre. Ils s’offusquent, à l’instar des ONG, de voir un événement sportif majeur se dérouler dans un pays où les droits de l’homme importent à peu près autant qu’une paire de moufle. Sans parler de ceux des femmes ou des communautés LGBT, inexistants… Ironie du sort, une quinzaine d’entre elles se sont élancées de Djeddah alors que les Saoudiennes se battent encore pour obtenir le droit de conduire. De plus, le royaume wahhabite est au cœur de la tourmente après ses interventions au Yémen à l’encontre des communautés Houtis et l’assassinat commandité du journaliste Jamal Khashoggi au sein de l’ambassade saoudienne à Istanbul en 2018.
187
Le nombre de Saoudien exécutés cette année selon l’AFP, le total le plus élevé des 20 dernières années.
Cependant, devant l’indifférence des fédérations et des diffuseurs TV, l’Arabie Saoudite a touché le pactole au loto du « sport-washing ». La manœuvre consiste à se racheter une image auprès du public internationale en défendant la noble cause du sport. Le roi Al Saoud et surtout, le prince héritier Mohammed ben Salmane, sont dans la lignée de leurs homologues Qataris qui avaient obtenu les Championnats du monde d’athlétisme 2019 ou la Coupe du monde 2022. Djeddah vient d’ailleurs accueilli les trois matchs de la dernière supercoupe d’Espagne remportée par le Réal.
Une course néfaste pour l’environnement ?
Dès lors, la question des troubles environnementaux causés par la course semble bien loin. Mais elle n’en demeure pas moins importante. Mike Horn, l’aventurier émérite des show télévisés en a fait les frais, vivement critiqué sur les réseaux. Et oui Mike ! Quand on s’apprête à rouler 8000 bornes dans le désert, on ne peut pas pleurer la disparition des ours polaire la semaine d’avant. Du moins, plus maintenant…
En Amérique du Sud, les émissions de CO2 du Dakar s’élevaient à 42800 tonnes (source : Espere). L’organisation « compense » aujourd’hui l’intégralité de celles émises par les pilotes et l’encadrement (environ 15000) en donnant à des associations comme Greenoxx, qui œuvre pour la préservation de l’environnement. Alors d’où viennent ces 40000 tonnes en plus ? La majeure partie provient des déplacements des spectateurs. Or, le Dakar fait office de petit poucet dans ce domaine lorsque l’on évoque les chiffres de la Coupe du monde de football (2,7 millions de tonnes en 2010) ou du Tour de France (341000 tonnes). Les émissions de l’ensemble du Rallye équivaudraient à celles d’un seul grand prix de Formule 1.
Difficile de blâmer nos vagabonds du désert. Même si ces chiffres ne suffisent pas forcement à faire état de la pollution subi par les faunes locales, on semble loin du tableau morbide dépeint par notre bien aimé Renaud en 1991 et des 500 connards sur la ligne de départ (on la met quand même, pour le plaisir !). En revanche, c’est la vision défendue par le Dakar qui dérange. Véritable vitrine de l’industrie automobile, la course semble davantage inciter à la consommation qu’à la transition vers l’électrique si fortement souhaitée. L’organisation a mis en place certaines catégories où les pilotes sont autorisés à développer des prototypes (au gaz ou bioéthanol) mais, sans médiatisation particulière, cela ne contribuera pas à changer les habitudes.
Entre l’encadrement délicat de sa sécurité, son installation plus que douteuse en Arabie Saoudite et sa politique environnementale assez floue, le Rallye Dakar n’a pas fini de diviser. Mais si la course bénéficie aujourd’hui d’autant de visibilité, c’est en partie grâce aux polémiques qui l’ont toujours entouré. Du tragique au mythique, il n’y a qu’un pas. Et pour le Dakar, des milliers de routes…