Cours Carlos ! Cours ! Pouvait-on entendre dans les rues de Tokyo, dimanche dernier, aux alentours de midi. Pour courir, ça, il a couru. Fuyant injustice et persécution, l’ex magnat de l’industrie automobile, a troqué son statut d’antan pour un tout nouveau, certes moins confortable, mais définitivement plus palpitant : celui de fugitif.
Vous n’avez pas pu la rater. C’est la nouvelle saga qui fait les choux gras de la presse française, mais aussi japonaise. Après l’épisode sensationnel de l’arrestation fin 2018 au Japon, suivi des 130 périlleux jours passés dans une prison japonaise, qui avait finalement débouché sur une assignation à résidence en échange de la coquette somme de huit millions d’euros, vous allez adorez le dernier volet de cette série aux allures netflixiennes : L’évasion.
Tout commence le 19 novembre 2018, dans un aéroport de Tokyo. Carlos Ghosn descend, comme à son habitude, d’un jet privé floqué aux couleurs de Nissan. Mais une fois le pied sur le tarmac, surprise, la police japonaise procède à son arrestation.
Le patron de l’alliance Renault/Nissan est accusé de multiples malversations financières. La justice japonaise chiffre à 37,7 millions d’euros (entre 2011 et 2015), la somme que l’ex-patron de Renault/Nissan aurait dissimulé. Il est notamment accusé d’abus de confiance aggravé et de fraudes dans ses fonctions de PDG de l’alliance Renault/Nissan. Parmi ces malversations, un certain nombre concernent des logements fastueux, achetés ou loués par Nissan, puis mis à disposition de Carlos Ghosn. Par exemple, l’enquête interne de l’entreprise ayant en partie mis à jour les fraudes présumées de l’ex-patron font état d’un duplex à Paris de 489 m2, d’une somme de 3,5 millions d’euros, d’un appartement à Amsterdam, loué 8500 euros par mois à partir de 2017, d’une grande maison à Beyrouth acheté 8,5 millions d’euros, ou encore d’un penthouse à Tokyo mis à disposition de M. Ghosn ; le tout au frais de l’entreprise. La maison à Beyrouth aurait par ailleurs été achetée par une filiale discrète du groupe Renault/Nissan.
Son avocat, Jean-Yves Le Borgne, explique en revanche que ces luxueux logements seraient tout à fait légitime en tant que logement de fonction, notamment pour des raisons de sécurité. En effet, les déplacements de personnalités (politiques, grands patrons etc…) peuvent se révéler extrêmement chers, en raison des dispositifs de sécurité nécessaires, pouvant aller jusqu’à la privatisation d’un étage entier d’un hôtel. La villa à 8,5 millions aurait donc été achetée dans un souci de sobriété économique, m’voyez. Cependant, les accusations ne s’arrêtent pas là, et concernent aussi l’utilisation prétendue excessive des jets privés de l’entreprise à des fin personnelles, notamment pour des voyages à répétition vers le Liban, où vit la famille de Carlos Ghosn. Des zones d’ombres subsistent également sur des investissements dans un domaine viticole au Liban, ainsi que l’achat d’un jet privé pour lui et sa famille, qui aurait été payé par l’entreprise.
En 2018, il aurait usé d’un stratagème pour se faire embaucher dans une filiale commune de Nissan et Mitsubitchi au Pays-bas, (qui, au passage, n’employait personne), sans en informer les autres directeurs de l’entreprise, selon une enquête interne menée par les deux entreprises. D’après Patrick Pelata, ancien bras droit de Carlos Ghosn, ce dernier aurait perçu une prime d’embauche d’environ 1,5 millions d’euros, ainsi qu’un salaire annuel de 5 à 6 millions d’euros.
Enfin, et cette dernière affaire fait l’objet d’une enquête en France, Carlos Ghosn a organisé un somptueuse fête à Versailles en l’honneur des 15 ans de l’alliance Renault/Nissan. Coût total : 600 000 euros. Petit hic, cette fête s’est déroulée le 9 mars, jour de l’anniversaire de M. Ghosn. De plus, ne figurait sur la liste des invités, aucun membre du conseil d’administration ni d’anciens cadres de l’entreprise. Seul un salarié de Nissan et deux de Renault étaient présents, entourés de diverses personnalités, tel que François Cluzet par exemple, mais aussi de la famille et des amis de Carlos Ghosn. Étrange conception d’un dîner professionnel.
Si toutes ces accusations restent pour le moment sous le coup de la présomption d’innocence, un certains nombre d’éléments font montre, chez l’ex-patron de Renault/Nissan, d’une véritable folie des grandeurs. Alors qu’en 2015, il décide de geler les salaires des employés de Renault en France, il s’accorde dans le même temps une petite augmentation de 169%. En 2016, il réitère la manœuvre en soumettant au vote du conseil d’administration une nouvelle augmentation de son salaire. Cependant, elle est refusée.
L’affaire Ghosn, raconte l’histoire d’un roi déchu. Lui, qui fût qualifié de « redresseur de Renault », ou encore de « sauveur de Nissan », n’est désormais plus qu’un fugitif. Pendant un temps, il était même célébré au Japon, décrit comme un grand patron aux qualités manifestes. Mais le rêve s’arrête là, et l’homme si puissant hier, doit désormais faire face à la justice…
Oups, mille excuses, mauvaise histoire. En réalité, l’affaire Ghosn raconte de nombreuses choses, mais en aucun cas celle d’une justice enfin capable de lutter efficacement contre la criminalité en col blanc. Le système judiciaire nippon est assurément très stricte, dur même. L’ancien industriel en a fait les frais. En voyant un homme d’envergure tel que Carlos Ghosn dans ces conditions de détentions, on a failli perdre les deux tiers des éditorialistes de BFMTV et de CNEWS. Plus sérieusement, si, il est vrai, le système carcéral japonais n’est en aucun cas à envier au regard des droits humains, la stupéfaction générale d’une partie de la classe médiatique quant au sort de Carlos Ghosn, démontre à quel point voir un fraudeur fiscal derrière les barreaux en France est un fait rare.
Mais Carlos Ghosn a aussi démontré la facilité déconcertante avec laquelle, on peut se soustraire à la justice, du moment que l’on a les moyens. Deux trois jets privés, des complices discrets, et le tour est joué. Ainsi, Carlos Ghosn s’offre une véritable justice à la carte, où il se donne le droit de choisir quel système judiciaire sera le plus bénéfique pour lui. En s’évadant au Liban, pays où il a grandi, il se met à l’abri de toutes poursuites, le pays ne pratiquant pas l’extradition. Pour lui cependant il ne s’agit pas de justice : « Je ne serai plus otage d’un système judiciaire japonais truqué dans lequel la culpabilité est présumée. Je n’ai pas fui la justice – j’échappe à l’injustice et la persécution politique ». Ce type d’argumentation ne peut qu’accroître la défiance que les populations peuvent ressentir envers leur justice, qui semble décidément bien incapable face à ce type de criminalité.
Une chose est sûre, la saga n’est pas prête de se terminer. Interpol a ainsi émis un mandat d’arrêt à l’encontre de Carlos Ghosn. Il semblerait même que Netflix ait le projet de produire une série sur l’ancien magnat de l’industrie automobile…
https://www.lefigaro.fr/flash-eco/fuite-de-carlos-ghosn-ce-que-l-on-sait-a-ce-stade-20200103
https://www.youtube.com/watch?v=J9aaGW9BHhU
https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/03/la-fuite-en-avant-de-carlos-ghosn_6024663_3232.html