Une figure historique incontestable

Même les personnes les moins connaisseuses de l’Histoire de France ont entendu parler de Napoléon. Et comment le rater, tant son empreinte sur le pays reste profonde en 2021. Admiré par les uns, conspué par les autres, sa mémoire est régulièrement sujet à controverses. Le Président de la République Emmanuel Macron s’est rendu mercredi dernier à l’Hôtel des Invalides commémorer la mort de ce personnage iconique, non sans oppositions.

D’Ajaccio au trône impérial

Napoléon Bonaparte, né en Corse dans la ville d’Ajaccio, connaît une ascension fulgurante durant la décennie révolutionnaire française. Général des armées républicaines dès 1793, il fut également le commandant en chef de l’armée d’Italie et des campagnes militaires en Orient (notamment la campagne d’Égypte). Bonaparte participe également aux guerres contre les coalitions menées par les monarchies européennes en réaction à la Révolution Française (instiguées principalement par le Royaume de Grande-Bretagne).

La Bataille des Pyramides

Se faisant une place de plus en plus prégnante dans la politique française, il participe au Coup d’État du 18 Brumaire qui lui permet d’être par la suite nommé Premier Consul. Son poste lui est même confié à vie dès 1802. Enfin, le sénatus-consulte et le plébiscite de 1804 lui permet de proclamer l’Empire Français. A la fin de l’année 1804, il sera même sacré Empereur par le Pape VII.

Le Sacre de Napoléon à Notre-Dame-de-Paris, par Jacques-Louis David

Guerres et Réformes

Chef militaire, il guerroie et disons-le, il le fait plutôt bien. Ses impressionnantes victoires à Arcole, Marengo ou Austerlitz pour ne citer qu’elles lui permettent de renforcer la position française en Europe malgré les troubles révolutionnaires des années précédentes. Ces guerres portent le nombre de départements français à 134. Des places fortes européennes telles que Rome, Amsterdam ou encore Barcelone deviennent des chefs-lieux de départements français.

Napoléon a la Bataille du Pont d’Arcole

Il modifie profondément le fonctionnement politique intérieur. Outre sa totale main mise sur l’autorité étatique, il réforme la gestion des départements en instaurant les préfectures et en créant des modes de fonctionnement que nous connaissons encore de nos jours.

Il réforme également le système judiciaire en établissant le Code Civil (« Code Napoléon » lors de sa promulgation en 1804) ainsi que l’ancêtre de nôtre Code Pénal (remplacé depuis 1994). L’éducation fait aussi partie de ses nombreuses réformes puisqu’il est à l’origine des Lycées et du Baccalauréat en 1808. Il réforme également le système universitaire en opérant un strict découpage entre les disciplines, réparties en facultés. Bien que très largement remanié, le système universitaire français connaît encore ce découpage très marqué.

Vieille édition du Code Civil de 1804

La Chute

Les coalitions se faisant de plus en plus nombreuses, Napoléon connait une série de revers. Suite à ses défaites à Trafalgar, Leipzig et enfin à Waterloo après l’épisode des Cent-Jours, il est exilé sur l’île de Sainte-Hélène ou il passera les six dernières années de sa vie, sous la garde anglaise. Il s’y éteint le 05 Mai 1821. Selon certains témoignages, parmi ses derniers mots figurent « France… Tête… Armée ».

En France est restaurée en 1815 la dynastie des Bourbons, via le roi Louis XVIII. « La Restauration » débute.

Légende dorée et… légende noire

Une France glorieuse

Tous ces actes (notamment ses victoires) constituent ainsi pour nombre de français une légende dorée. Le peuple de Paris accueille avec grand bruit le retour de ses cendres en 1840. Ce sont près d’un million de personnes qui se pressent pour apercevoir la dépouille de l’Empereur.

Le cortège part du Pont de Neuilly pour se rendre aux Invalides en passant bien évidemment par la Place de l’Étoile et sous l’Arc de Triomphe (bâti à la demande de l’Empereur) sous les yeux d’une foule qui s’étend jusque sur les toits de Paris.

Vous n’admirez pas Napoléon ! Mais qui admirez-vous donc ? 

Victor Hugo

Cette légende dorée, il la doit aussi à de nombreux écrivains tels que Victor Hugo. Ce grand auteur français, intellectuel engagé pour la défense des libertés et des droits de l’Homme (ce qui l’opposa drastiquement au Second Empire de Napoléon III), n’hésitait pourtant pas : « Vous n’admirez pas Napoléon ! Mais qui admirez-vous donc ? ».

Peu de temps après son élection à l’Académie Française, l’écrivain persistait en 1841 :

« La France était pour les nations un magnifique spectacle. Un homme la remplissait alors et la faisait si grande qu’elle remplissait l’Europe. […] Il était au-dessus de l’Europe comme une vision extraordinaire. »

Portrait de Victor Hugo, grande figure républicaine du XIX° siècle

C’est ainsi que l’Empereur restait dans l’imaginaire collectif un homme ayant aimé la France, son peuple et lui ayant rendue toute sa grandeur en Europe. Il restait une forme de nostalgie appelée à perdurer. Une nostalgie entretenue même par les régimes républicains ! La III° République (1870-1940) en fera d’ailleurs un élément incontournable du roman national. Avant 2021, il fut commémoré pour la dernière fois par le Président Georges Pompidou en 1969, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance.

Il n’en demeure pas moins des zones d’ombres dans le règne de Napoléon. Si la personnalité impériale continue de faire parler d’elle aujourd’hui, c’est tout simplement qu’il existe également une « légende noire » autour de l’Empereur. Outre les millions de morts causés par ces guerres européennes sanglantes, deux points ont été montrés du doigt ces dernières semaines.

Le rétablissement de l’esclavage est en particulier très discuté. Un projet de loi fut présenté au Sénat en 1802 portant sur la traite des noirs et l’esclavage. Bonaparte réclamait en effet un statut mixte : le maintien de l’esclavage ou il avait été maintenu mais également le maintien de son abolition dans les territoires où c’étaient le cas.

Cette proposition fut rejetée au profit d’une loi plus dure : l’esclavage sera maintenu dans tous les territoires rendus par les Britanniques. Ceci est présenté comme une conséquence du récent Traité d’Amiens (deux mois auparavant) dans lequel les anglais rendaient par exemple à la France l’île de la Martinique. De plus, l’esclavage sera rétabli dans certains territoires comme La Réunion (les précédentes lois d’abolition de l’esclavage n’avaient jamais été appliquées).

Napoléon déclare aux assemblées et devant le Sénat que Saint-Domingue et la Guadeloupe ne connaitrait plus l’esclavage et ne seraient pas concernés légalement par cette nouvelle loi (et ne le sont effectivement pas). Pourtant, dans les faits, l’esclavagisme y sera rétabli.

La Loi du 30 floréal an X est promulguée le 20 mai 1802.

Texte de Loi du 30 floréal an X

Pourtant, la position de l’Empire redevient ambiguë sur le sujet en mars 1815, lorsque l’Empereur édicte un décret qui abolit officiellement la traite des noirs.

Il a aussi été question du droit des femmes. Le Code Civil promulgué en 1804 instaure de fait une infériorité des femmes devant la Loi. De cette décision découle de longues décennies de soumission de la femme à son père, puis à son mari (qu’il s’agisse d’éducation, de gestion des biens familiaux ou encore du logement). Plus encore, une femme adultère n’est pas protégée : son mari peut l’enfermer, voire même la tuer, il ne sera passible que de 100 à 200 Francs d’amende. L’inverse n’est pas réciproque.

En définitive, la loi ne prévoyait qu’une relative autonomie des femmes divorcées et veuves : elles avaient la possibilité de gérer leur patrimoine et celui de leurs enfants. De même, en cas de violences conjugales ou de faits de mœurs du mari (dans le cas où ce dernier amènerait par exemple sa maîtresse à domicile), le divorce est autorisé.

Le Code Civil, qui confirmait pourtant un grand nombre d’acquis révolutionnaires, entérine donc un recul du droit des femmes (déjà été amorcé sous le Consulat dès 1801).

Ces deux points noirs apportent donc, au XXI° siècle, une autre dimension au débat. Une dimension qui prend son sens dans un contexte social tendu et dans lequel un énième féminicide a récemment été perpétré en France.

Difficile Mémoire

Le traditionnel clivage gauche-droite s’empare régulièrement de ce débat. La droite française ne souhaitant garder que le bon et la grandeur de la France napoléonienne, la gauche arguant les reculs sociaux dans les colonies et pour les femmes. A chacun son cheval de bataille, me direz-vous.

Il serait de bon ton de pacifier ces débats et d’y établir un consensus : oui, Napoléon à beaucoup apporté à la France, et oui il y a également eu un héritage néfaste dans les colonies et pour la condition féminine. A l’heure ou la « cancel culture » commence à faire des ravages, c’est pourtant le rôle de notre éducation : il nous faut TOUT enseigner, en n’écartant aucun des aspects de la période révolutionnaire et impériale française.

Calquer les valeurs de 2021 sur celles du début du XIX° siècle est un anachronisme dans lequel tombent hélas trop d’associations et de politiques. Au fil du temps, ce consensus pourra progressivement être établi. Pour une fois, l’intervention du président Macron, bien que rythmée par une rime forcée, ne sembla pas dénuée de sens :

« De l’Empire nous avons renoncé au pire et de l’empereur nous avons embelli le meilleur »

Emmanuel Macron, le 05 Mai 2021

Finalement, la présence et la controverse de Napoléon dans le débat public, deux cent ans après sa mort, n’est-elle pas à la hauteur de son importance et de son caractère décisif dans notre Histoire ?