Rares sont les week-ends où il ne suscite pas la controverse, où ses décisions sont limpides et indiscutables, où des supporters aux quatre coins de la France et même de l’Europe ne s’arrachent pas les cheveux après avoir vu leur club de cœur lésé par un jugement incompréhensible, sur une faute non sifflée que même un aveugle sans canne aurait vu. Le VAR, c’est le nouveau cauchemar de nombreux amateurs de football. Incohérence et incompréhension quant à son utilisation, dysfonctionnements, recrudescence de débats presque marginaux avant sa mise en place, bref, le bilan est pour l’heure mitigé – et c’est un euphémisme.
Un week-end sous forme de point de non retour
Ce week-end fut particulièrement agité en Ligue 1. Deux matchs ont notamment fait parler d’eux en démontrant, s’il le fallait, que les hommes en jaune en avaient encore sous la pédale en matière de WTF.
Commençons par M. Clément Turpin, classé meilleur arbitre français, qui, lors du derby breton entre Brest et Rennes, s’est illustré en réussissant la prouesse technique de se… déjuger lui-même, après avoir pris une décision basée sur les observations du VAR. Plus impressionnant encore : il a été le premier arbitre de l’histoire du football à en faire un usage digne du football américain ou du tennis.
Nous jouons alors la 64ème minute. Hamari Traore centre pour le Stade Rennais, Jordan Siebatcheu pousse Jean-Charles Castelletto, le défenseur central brestois, qui percute son propre gardien Gauthier Larsonneur, sorti boxer le ballon. Les deux restent au sol, les Finistériens s’arrêtent de jouer, mais l’action continue et Raphinha, le néo-attaquant rennais, pousse le ballon au fond des filets, profitant de l’apathie générale pour inscrire son premier but en Ligue 1, à n’en pas douter le plus fair-play de sa carrière. S’en suit un interminable moment de flottement qui verra d’abord Clément Turpin, conforté par le VAR, valider le but, puis, finalement, aller voir les images par lui-même et revenir sur sa décision. Complètement dingue et inédit.
D’autant plus que, tel que l’a avoué Grégory Lorenzi,
directeur sportif du Stade Brestois, pression a été mise sur le joueur de l’Olympique
Lyonnais l’arbitre international pour que celui-ci visionne l’action par
ses propres yeux : « En tribunes, il y a des télévisions. On peut
juger ce qui se passe. Je me suis permis d’alerter mon staff pour dire qu’il y
avait une poussette sur l’action qui amenait au but, et pour que le staff
discute avec les joueurs pour essayer de faire changer d’avis Clément Turpin,
pour qu’il consulte la vidéo. […] J’ai dit au délégué que ce n’était pas normal
que la vidéo ne soit pas utilisée. Je comprends que ce soit difficile pour
Clément Turpin de siffler but ou non sur l’action. L’erreur de l’arbitre, dans
un premier temps, c’est de ne pas avoir été vérifier lui-même les images. On voit
clairement qu’il y a une poussette de l’attaquant rennais. » On serait
donc plus ou moins dans le cadre d’un usage type tennis, avec l’utilisation de
la vidéo à demande des joueurs ou des entraîneurs.
Autre son de cloche du côté su Syndicat des arbitres, qui affirme que l’arbitre du match « n’a eu recours à l’assistance vidéo sous la pression de quiconque ». M. Garribian, son président, plaide le « dysfonctionnement dans le »process » de l’assistance vidéo ». « A un moment ils se sont aperçus qu’il y avait potentiellement une faute dans le déroulement de l’action. Quand Clément a eu cette information […], il a décidé comme le veut le protocole d’aller voir lui-même les images. Chronologiquement, le travail aurait dû être inversé. » Cela voudrait donc dire que la pléiade d’arbitres vidéo présents dans le car a eu besoin de plusieurs minutes pour se rendre compte que non seulement, il y avait faute mais, qu’en plus, il avait fait une erreur dans son premier jugement.
Saint-Etienne – Toulouse, symptomatique de tout ce qui ne va pas dans le VAR
Le second cas nous mène à Saint-Etienne, qui jouait face à Toulouse, ce dimanche après-midi. Les Verts sont malheureusement habitués aux affres de la technologie arbitrale : victimes régulières la saison passée, équipe la plus désavantagée par ses décisions selon L’Equipe, les hommes de Ghislain Printant connaissent un début de saison compliqué, et sûrement pas facilité par l’arbitrage. En témoigne l’inexplicable mansuétude de Monsieur Millot, l’arbitre d’OM-Sainté, vis-à-vis de Jordan Amavi, auteur d’un attentat sur Sergi Palencia, out six semaines, et qui n’a écopé que d’un carton jaune malgré le recours à la vidéo et l’état de la cheville de l’ancien Barcelonnais.
Face à Toulouse, il y a eu pas moins de trois buts refusés, un pénalty accordé, deux oubliés. Un festival de décisions contradictoires et incohérentes. Tout d’abord, en première mi-temps, l’arbitre aurait pu accorder un pénalty à Toulouse pour une faute de Moukoudi sur Leya Iseka, mais le VAR n’a pas considéré la charge de l’ancien havrais comme illicite, sans doute à tort (que je n’ai pu revoir, mais apparemment bien réelle malgré la décision finale). Il en fut de même, et de manière bien plus flagrante en deuxième mi-temps, lorsque Gradel sauta sur Cabaye dans la surface, à 5 petits mètres des yeux de M. Stinat. Pas de pénalty et, encore plus hallucinant, pas de recours au VAR !
Quelques minutes plus tard, le but du Toulousain Koulouris est refusé pour un hors-jeu, disons-le, inexistant… malgré le recours au VAR. Enfin, dans les cinq dernières minutes, deux buts sont refusés aux Stéphanois pour deux hors-jeux de Beric, le premier impliquant un ballon soi-disant effleuré par Khazri, malgré le fait qu’aucune image n’en apporte la preuve formelle, le second une position illicite de l’attaquant slovène sur laquelle le révélateur ne semble pas tenir compte de la perspective, mettant en doute le bien-fondé de ce refus. Bref, des situations qui se jouent au millimètre près et qui ont, à chaque fois, été sanctionnées négativement…
On peut également ajouter la faute flagrante d’Andersen sur Otero lors du match Amiens-Lyon, sur laquelle M. Bastien ne fit pas appel au VAR, ou le second but de Neymar invalidé sur un hors-jeu plus que limite. En bref, cela donne un week-end animé, riche en incompréhensions et qui nous conduit une nouvelle fois à nous poser la sempiternelle question du bien-fondé même de la vidéo : est-elle vraiment une avancée pour l’arbitrage ?
Nouvelles problématique, incompréhensions et suppression du droit à l’erreur : quand le sport devient une science
La question des mains est l’illustration parfaite des nouvelles problématiques créées par l’assistance vidéo. Faisaient-elles autant débat auparavant ? La réponse est non. Pourquoi cela ? Car il n’y avait aucun impératif scientifique et un seuil de tolérance de l’erreur matérialisé par l’interprétation. Il a ainsi fallu légiférer pour augmenter la cohérence dans la prise de décisions : désormais, toutes les mains dans la surface sont sanctionnées, sauf dans le cas d’une distance inférieure à 1m50 entre les deux joueurs impliqués. Une problématique qui n’avait pas la même importance il y a quelques saisons de cela, et dont on acceptait la valeur interprétative.
L’arbitre est un être humain : il peut se tromper. Sauf que désormais, le VAR le lui interdit, jouant ainsi un double-jeu assez malsain vis-à-vis de l’homme en noir. Celui-ci n’a pas le droit de se tromper mais qui plus est, légitime ses décisions grâce à l’appui vidéo apporté par ses comparses présents dans le bus. Il n’est donc plus question de droit à l’erreur, mais d’impossibilité de faire des erreurs. L’arbitre a raison, puisque ses assistants, ses assistants vidéo et la vidéo elle-même appuient sa décision : on n’est plus dans le cas de l’homme en noir face au reste du monde. Pourtant, force est de constater que celles-ci sont encore nombreuses.
Pourquoi cela ? Lorsqu’on a accès à une multitude de ralentis sous différents angles, il semble impossible de prendre une mauvaise décision. Disons-le clairement : certaines situations ne sont pas soumises à interprétation. Elles sont limpides et ne souffrent d’aucune contestation. Dès lors, quelques cailloux traînent dans la chaussure des arbitres :
- Le fait de ne pas réparer une erreur qui n’est pas « manifeste » : cela implique que le VAR n’est pas vouée à corriger une « petite erreur ». Mais où se situe la frontière entre erreur manifeste et petite erreur ? Dans ce cas, pourquoi avoir invalidé le second but refusé aux Stéphanois, alors que l’assistant n’avait pas levé son drapeau et que le hors-jeu se joue au millimètre ? L’erreur de jugement sur le but refusé à Toulouse était donc une erreur minime ? Pourquoi revenir sur sa décision dans un cas et pas dans l’autre ?
- Le choix de l’utiliser dans certaines situations plutôt que d’autres. Pourquoi y fait-on appel sur la faute sur Leya Iseka, et pas sur celle sur Cabaye ? Pourquoi a-t-on besoin d’une minute pour valider le premier but d’Hamouma, qui ne souffre pourtant d’aucune contestation ? Qui est responsable ? L’arbitre central pour ne pas vouloir s’y référer, ou les arbitres vidéo pour ne pas alerter le premier cité ?
- L’ego ou du moins les pressions institutionnelles poussant l’arbitre à ne pas revenir sur sa décision. Pour éviter de se discréditer, mais également pour ne pas perdre de points au classement des arbitres, il est préférable de ne pas avoir recours au VAR, puisqu’un arbitre changeant sa décision sur avis du VAR est sanctionné négativement au classement, comme l’a rappellé Christophe Josse durant PSG-Strasbourg. Un non-sens puisqu’il s’agit d’une entrave à l’utilisation de la vidéo, incitant les hommes en noir à ne pas s’en servir.
Le football est devenu une science que l’on applique selon le bon-vouloir. Dès lors, l’utilisation du VAR amène encore plus de frustrations chez les joueurs, les entraîneurs, comme chez les spectateurs. Le cadre d’application est soumis aux interprétations, ce qui ne change finalement rien à la situation que l’on connaissait avant sa mise en pratique. Le sentiment du « deux poids – deux mesures » en ressort d’autant plus grand, car des principes censés être clairs et univoques ne le sont pas tant que cela. L’erreur pouvait être admise avant, car à vitesse réelle, il était parfois très difficile de juger avec justesse chaque fait de jeu. Désormais, on attend légitimement de l’arbitre qu’il ne fasse presque aucune erreur. Or, l’erreur demeure souvent structurelle, directement liée à l’utilisation du VAR, pour toutes les raisons invoquées auparavant.
Ne parlons pas non plus de la pénibilité liée aux situations imposées par le VAR : ascenseur émotionnel (et par deux fois, dans les cinq dernières minutes, pour les supporters des verts face à Toulouse), prises de décisions interminables (plus de 11 minutes d’arrêts de jeu liés au VAR pendant ASSE-Toulouse pour seulement 8 minutes de temps additionnel au total) … Les travers sont nombreux. Le match Brest-Rennes peut faire figure de jurisprudence, quant à la pression que peuvent exercer les joueurs pour utiliser l’outil vidéo, malgré les démentis du syndicat des arbitres. On peut ainsi légitimement se poser la question de l’évolution de l’usage vers une forme de « challenges », comme au tennis, avec deux ou trois jokers vidéo par équipe.
Le VAR est contraire à l’esprit du jeu et du sport, dans son ensemble. Sortir le mètre pour annuler un but pour un hors-jeu de 10 cm est une aberration. Ce qui différencie le sport de la science est l’incertitude. L’incertitude, justement, est toujours présente, mais plus malsaine puisqu’on attend du sport qu’il soit désormais une science. L’erreur et l’injustice sont encore davantage devenus des parias : or, ils font partie intégrante du romantisme imprégnant l’objet du sport. La passion est atteinte. Le football n’est plus ce qu’il a pu être. Le VAR, c’est la manifestation de la mercantilisation du sport business, dans lequel l’homme ne doit plus faire d’erreurs susceptibles de faire du tort aux intérêts économiques d’un autre.
Bref, disons les choses comme elles le sont : y’en a VAR de la vidéo.