Alors non, Macron n’est sûrement pas un idiot, souffrant d’un déficit informationnel flagrant. Il serait très étonnant que le film de Ladj Ly ait informé en première instance le Président de la République du problème des banlieues. On ose espérer qu’il ait vu La Haine de Matthieu Kassovitz bien avant pour cela… L’entre-soi des élites politiques, la « déconnexion » des classes supérieures avec les réalités de la rue ne sont évidemment pas non plus à négliger, mais à relativiser, dans la mesure où Emmanuel Macron, dès le début de son mandat a insisté sur le renouveau des politiques de la ville, avec le succès qu’on lui a vu.

C’est peut être alors plus vrai pour Jacques Chirac qui, après avoir vu Indigènes, a d’emblée augmenter les pensions aux anciens combattants étrangers. Le scepticisme est permis mais le geste peut très bien venir du cœur. Un sujet moins courant, qui, de part une œuvre culturelle populaire, s’est vu affiché en haut de l’agenda politique. Les banlieues, quant à elles, ne sont pourtant jamais descendues de l’estrade mediatico-politique, tant la crise qui les traverse va bien au-delà d’une augmentation de pension.

Faire redescendre Jupiter

L’autre alternative, bien plus probable, c’est que comme la plupart d’instants tellement volés que l’étiquette « Elysée » est encore visible sur l’emballage, la révélation du JDD soit un autre coup de communication de l’équipe Macron, décidemment bien inspirée. A quoi bon, en effet, se saisir fébrilement d’un sujet aussi sensible, s’épancher dans une compassion molle et stérile ? Peut être déjà pour faire redescendre Jupiter sur terre. Admettre être bouleversé, c’est-à-dire être troublé, douter de l’ordre de ses pensées, c’est admettre son caractère sensible. La politique moderne, flagrante sous le mandat Macron, est la politique des bureaucrates, des cabinets, rationnalisée dans un souci de productivité maximisée et de coûts réduits. Le rêve de Max Weber, c’est une bureaucratie qui pense mais ne sent pas, qui exécute les directives du politique qui lui, plus que sentir, doit savoir. Mais le politique s’est étiolé aujourd’hui, refusant d’admettre qu’il ne sait plus, laissant aller les mains invisibles et contradictoires du marché et de l’administration. Se dire « bouleversé », c’est montrer qu’on ne sait plus, et qu’on ressent, c’est redevenir politique.

Mais c’est aussi pour l’équipe communicationnelle jeune et dynamique de l’Elysée un moyen de rattacher leur client, pardon, notre Président, à la communauté sensitive nationale, à ce que Benedict Anderson appelle la « Communauté imaginée ». Ce qui réunit un peuple, c’est un sentiment d’union, une impression d’appartenance. Une solidarité naturelle entre ceux qui ressentent pareillement. Mais la passion de la nation est tombée en désuétude, la communauté s’est restreinte à la communauté des républicains, des manifestants, des Gilets Jaunes aujourd’hui, en somme, des communauté où le politique se retrouve à la marge, exclu, ou devient le bouc émissaire servant de point d’union à la communauté sensorielle. Se dire bouleversé par la crise sociale en bas, c’est pour le haut une tentative de redescendre au plus près des citoyens unis par l’indignation face aux inégalités.

Communiquer « hors sol »

Des grandes ambitions en effet, un résultat pourtant bien négligeable, de la part de l’exécutif qui a balayé d’un revers de la main le rapport Borloo, enfermé dans des conceptions antiques des politiques de la ville, où il suffirait de planter des Cyprès en bas des HLM pour régler l’immobilité sociale et la discrimination à l’embauche. Au fond, c’est peu être en cela que l’équipe de communication de l’Elysée se trouve souvent ridiculisée : des gestes inspirés, empreints de symbolisme banalisé, se fracassent face à la réalité de la politique gouvernementale et de l’immobilisme sur certains dossiers, à croire qu’ils pensent, sentent, mais gardent leur nez bien loin d’en dessous des tables du pouvoir.