Dans cette affaire, les médias ont pourtant une nouvelle fois délaissé l’essentiel en tricotant l’emballage. A coup de buzz, de petites phrases et de grands mots, ils ont réduit la champ du problème à une affaire personnelle à l’encontre du député de gauche, élaguant, de la sorte, tout le fond du dossier et les problèmes qu’il pose en matière de démocratie et de libertés. Diabolisé, présenté comme colérique, instable voire comme un dictateur, Jean-Luc Mélenchon a subi les attaques des médias, contribuant à façonner un visage trop bien connu du personnage. Ici, il sera seulement question de ce que nous induit l’image choc, jugée en potentiel d’intensité médiatique : pour le dire simplement, de ce que les médias cherchent à nous faire penser à partir de séquences isolées générant du buzz. Décryptage des rushs de la perquisition de Mélenchon en bonne et due forme.
A l’origine de la perquisition, un rappel des faits
Désintox mise sur l’analyse de fond car les médias s’attachent à la forme pour passionner les foules. Tenons-nous en aux faits : le Parti de Gauche, la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon et d’autres élus de sa famille politique ont été perquisitionnés sur ordre du procureur, sur la base d’accusations frauduleuses d’une élue du Rassemblement National au sujet de prétendus emplois fictifs au Parlement européen. Le motif semble assez flou, et pour le moins peu fiable. Pourtant, il est bien le point de départ d’une procédure d’enquête débutée avec une opération de police d’envergure. Dans un Etat de droit, une démocratie de premier plan et l’une des plus grandes puissances mondiales, cela fait tache. Par conséquent, il convient bien de signaler qu’un parti d’opposition a subi une opération aux contours flous. De là à parler d’une opération de police politique, il y a une ligne que les proches de Jean-Luc Mélenchon ont assumé franchir. Attaqués pour diffamation, ils sont plusieurs à avoir été assignés au tribunal pour répondre à des faits d’intimidation à l’égard des forces de l’ordre. En pleine pré-campagne pour les élections municipales, il y a pourtant des arguments recevables. « Vous me persécutez depuis des mois, pour que ça dure, et ça dure, et ça dure » déclarait Jean-Luc Mélenchon le 20 septembre dernier lors de son procès à Bobigny. Mais, revenons-en encore aux faits. Après des perquisitions aux domiciles de certains responsables politiques, dont Jean-Luc Mélenchon, tôt le matin du 16 octobre 2018, le procureur ordonne une perquisition au siège du Parti de gauche et de la France insoumise. Sur place, les policiers refusent de laisser rentrer les responsables alors que la loi le permet (les personnes concernées ont le droit d’assister à la perquisition des lieux). Agacé, Jean-Luc Mélenchon s’offusque à plusieurs reprises et n’hésite pas à parler très fort à certains policiers, ce que certains appelleront de l’intimidation. Mais à défaut de faire un jugement de valeur, on peut au moins s’en tenir aux faits et à ce que cela nous dit du droit et de l’éthique. Si Jean-Luc Mélenchon reconnaît volontiers que les policiers font leur travail (il le répète à plusieurs reprises), il se montre intraitable lorsqu’il s’agit de faire valoir ses droits et faire respecter le cadre légal de la perquisition. Ils sont peu nombreux à avoir montré la séquence, certes discrète, où Jean-Luc Mélenchon s’excuse auprès du policier à qui il a parlé sur un ton très agressif lui expliquant que ça n’a rien de personnel et qu’il fait son boulot. Rares encore sont ceux qui ont montré les passages où il demande à ses collègues de laisser la police faire ce qu’elle est venue faire, qu’ils n’ont rien à se reprocher et qu’ils respectent les règles d’une perquisition. Combien de médias ont-ils mis l’accent sur ce volet ? Tous, ou presque, ont retenu des séquences isolées dont ils n’ont même pas eu l’honnêteté de traduire les passages importants. Ainsi, la petite phrase de Mélenchon « La République, c’est moi ! Ma personne est sacrée » n’a jamais été prise dans sa dimension républicaine et sa transposition en droit constitutionnel. Lorsque le député s’exclame, d’une façon très agressive soit, il ne fait pourtant qu’asséner des vérités. Le statut de député lui confère une immunité parlementaire qui le protège. Bien plus, en tant que député de la Nation toute entière, dans sa dimension une et indivisible, il revêt un costume sacré aux yeux de la République, celui de l’élu du Peuple et violer ses droits, c’est violer la République. Bien sûr, Jean-Luc Mélenchon recherche l’effet théâtral comme à son habitude, mais il est aussi du rôle des médias de décrypter. Ici, on retient une image, qu’on ne prend même pas la peine d’analyser, pour en faire une sorte de constante de l’identité de l’homme politique. Les propos, aussi mis en scène étaient-ils, méritent néanmoins d’être expliqués pour que chacun, en connaissance de cause, juge ensuite de l’affaire.
La construction du personnage médiatique
Jean-Luc Mélenchon et les médias, c’est une longue histoire d’amour ou de haine. Plutôt de haine d’ailleurs. L’homme politique a en partie fondé sa réputation sur ce jeu avec l’amplificateur médiatique. Dans l’affaire qui l’a touché, il a pourtant perdu la première manche. En jouant sur l’indignation et les émotions, sur le pathos donc, il pensait réussir à gagner. Malheureusement pour lui, sa rhétorique et sa mise en scène se sont retournées contre lui. D’abord parce que c’était l’effet recherché s’il devait y en avoir un : quoi de mieux que de voir Jean-Luc Mélenchon s’agacer pour attester la thèse de l’inaptitude au pouvoir et faire des projections quant à son comportement autoritaire ? Mais ici, l’affaire participe de cette construction du personnage médiatique par un triple mouvement. Le rôle des éditorialistes et des médias dans leur ensemble grâce à la génération de buzz, de clash, la peur ; les politiques lorsqu’ils renvoient Mélenchon au rang d’opposant dangereux, inconstant et autoritaire ; et enfin Mélenchon lui-même qui use de ces ressorts pour occuper les médias, cliver mais convaincre, porter le schéma d’un opposant politique qui gêne et qui est victime des médias et du système parce qu’il dérange. Sauf qu’en tentant de convertir un bad buzz en opération de communication, Mélenchon a confondu vitesse et précipitation et a laissé le piège se refermer sur lui.
Par-là, on constate qu’il a tenté de jouer l’indignation mais rien d’objectif ne permet de contredire qu’il l’a fait dans l’ordre républicain. Pourquoi les médias suggèrent-ils le contraire ? Parce que Mélenchon est un personnage médiatique diabolisé. A cette idée, je suggère un exemple, lorsqu’Eric Brunet, célèbre éditorialiste de droite assumé de RMC, interroge Jean-Luc Mélenchon le 13 septembre sur BFMTV. A plusieurs reprises, le journaliste lui reproche d’être agressif alors qu’il ne l’est simplement pas, ce que le principal intéressé lui fait remarquer sur un ton très calme et bon enfant. Le but demeure identique : on veut l’énerver pour justifier l’image médiatique que l’on construit à son sujet. Dépassée l’analyse de l’image et des partis pris, venons-en aux faits.
Du superflu médiatique à l’essentiel : la déontologie à l’épreuve du buzz
Je crois que cette affaire doit nous interroger, non pas sur les procédés de communication et la rhétorique bien rodée de Jean-Luc Mélenchon et de ses proches, mais sur ce qu’elle dit de l’indépendance de la justice. Il y a, d’un côté, ce qui relève du droit, de l’autre ce qui procède de l’extrapolation de l’image choc considérée dans son impact médiatique en matière de buzz. Alors, les médias retiennent les coups de sang de Mélenchon, mais fort peu de choses sont dites sur la légalité de cette perquisition, les atteintes au droit qu’elle soulève mais plus encore sur les vrais enjeux d’une telle opération : il en va de l’indépendance de la justice et de la liberté des opposants politiques. Cet éternel sujet sensible par excellence a encore été passé sous silence par parti pris éditorial des médias. Pourtant, il était clairement utilisé par les proches de Jean-Luc Mélenchon qui ont répété en boucle qu’ils étaient victimes d’une police politique aux liens étroits avec le pouvoir. Si on reste factuel, rien ne permet de discréditer cette thèse. Bien sûr, le débat mérite qu’on s’y intéresse, et marteler « circulez, il n’y a rien à voir » en insistant sur la démocratie dans son aspect performatif montre le malaise à ce sujet. Répéter que la France est une démocratie et que, par conséquent, tout ce qui s’y passe est forcément démocratique est démagogique mais ne dit rien, sur le fond, sur le fonctionnement de nos institutions. En la matière, il n’existe pas de pouvoir judiciaire en France, il s’agit d’une « autorité » dont l’indépendance est régulièrement pointée du doigt. Nommés par le Président de la République ou par décret du conseil des Ministres, les procureurs ont des liens avec le ministère de l’Intérieur et aucun argument objectif ne permet de retoquer l’idée qu’ils puissent être, a minima, influencés par l’autorité politique. Or, Christophe Castaner, Ministre de l’Intérieur, était aussi chef de parti de la majorité au moment des perquisitions. C’est, pour le moins, un drôle de mélange des genres au pays de la liberté d’expression et des Droits de l’Homme. Il y a tout de même ici quelque chose qui doit nous choquer, tout du moins nous interpeller. Comment peut-on accepter, toute sensibilité politique à part, qu’un mouvement majeur de l’opposition subisse, sur une base aussi frauduleuse, une perquisition qui ressemble grandement à une campagne d’intimidation politique ? A ce titre, les médias n’ont que trop survolé la question fondamentale des libertés. Ils ont encore privilégié le buzz désincarné, abscons et profondément réducteur qui abrutit sciemment quand on aurait besoin d’informations, d’analyses et d’éclairages. Ce qu’on en retient ? Mélenchon est dangereux parce qu’il perd ses nerfs. Pour le fond, on repassera.
Et dans ce contexte politique incertain où le tribunal médiatique décide du sort des protagonistes, Jean-Luc Mélenchon a fait les frais du système en place après avoir joué avec ce-dernier. Mais dans ce spectacle indigent, le commun des mortels n’y gagne rien. Au milieu de ces joutes, des citoyens désabusés, bercés d’illusions et d’images réductrices qui confondent désormais divertissement et information, cherchent désespérément à comprendre ce qui se trame. Au lieu de ça, le système politico-médiatique l’occupe, le distrait puis l’endort pour qu’il sorte du circuit. Et en ce sens, le traitement médiatique de l’affaire Mélenchon pourrait prêter à sourire si elle ne traduisait pas l’abysse dans laquelle s’enfoncent toujours davantage l’esprit critique et la raison. Au jeu des dérives liberticides, les médias ont en tout cas un tour d’avance qui pourrait bien précipiter leur chute après les avoir perpétués. A trop jouer avec le feu, on finit par se brûler. Désintox sort l’extincteur pour sauver ce qui peut l’être des ténèbres : un filet pour l’esprit critique bousculé.