27 mai 2019, 22h36, stade An der Alten Försterei, Berlin. Benjamin Pavard fait grise mine : le VFB Stuttgart, qu’il voulait laisser en Bundesliga avant de prendre son envol vers Munich, est relégué pour la deuxième fois en trois ans, la troisième de son histoire. Une hérésie pour l’un des clubs les plus titrés d’outre-Rhin, l’une des forces majeures des années 2000 (avec un titre de champion glané en 2007, notamment), victime d’un mouvement de foule ayant également entraîné le Herta Berlin, Mönchengladbach, ou encore Hambourg l’année dernière, relégué pour la première fois de son histoire. Wolfsbourg, le Werder Brême et Schalke 04, cette année-même, ont également frisé la correctionnelle.

Ainsi, le grand remplacement tant redouté par les identitaires de toute l’Europe suit son cours. A la différence près que l’on ne parle ni démographie, ni culture, mais bien football. Hoffenheim, Leipzig, Mayence… et maintenant l’Union Berlin. Le bourreau des hommes de Markus Weinzierl, c’est elle. Une performance historique pour un club qui connaîtra pour la première fois le principal échelon national.

C’était ça, la montée de Die Union

Issu de la fusion de plusieurs clubs et créé en 1906 sous le nom de FC Olympia Oberschöneweide, devenu rapidement Union 06 Oberschöneweide, puis restructuré et renommé à de nombreuses reprises, au gré des aléas politiques venus se mêler à l’univers sportif, le 1. FC Union Berlin, appellation a priori définitive adoptée en 1966, revêt une dimension populaire très particulière.

Oberschöneweide est un quartier ouvrier de Berlin. Cela se ressent largement dans l’histoire du club, obligé de déménager à plusieurs reprises au gré de l’expansion industrielle, jusqu’à arriver au mythique An der Alten Försterei en 1920. Le maillot bleu de l’époque n’est pas sans rappeler la couleur des tenus des travailleurs des usines attenantes, octroyant aux joueurs le surnom de « Schlosserjungs », les « métallurgistes ». Le chant emblématique des supporters, « Eisern Union! » (« Union de Fer ! »), est également hérité de ces racines métallurgiques et prolétaires.

Une rivalité berlinoise sur fond de lutte politique

Union (prononcez You-Nyone), tel qu’on l’appelle communément chez nos voisins, est loin d’être le club phare de l’actuelle capitale allemande, qui était en ces temps divisée. Ne sachant véritablement sur quel pied danser entre 1945 et les années 1960, le club se cherche et se transforme.

En 1950, échaudés par le refus des autorités soviétiques de voir l’équipe se déplacer pour jouer les finales du championnat national dans l’ouest après s’être qualifiée via le championnat de Berlin, certains membres du club, basé à l’est de Berlin (pourtant pas encore officiellement sous giron politique soviétique) créent une nouvelle équipe. Le SC Union 06 Berlin, qui existe encore de nos jours, naît alors à l’ouest de la ville, à une époque où les championnats nationaux étaient divisées en mini-championnats régionaux (nommés Oberligas), pour éviter de rencontrer à nouveau ce genre de problème. Il intègre ainsi l’Oberliga de Berlin. Pendant ce temps, le SG Union Oberschöneweide continue d’exister et prend part au nouveau championnat est-allemand.

Le club est alors définitivement renommé 1.FC Union Berlin début 1966, alors que la RDA est en plein processus de structuration de son football, dont elle veut faire une force importante en Europe. Outre ses voisins de l’ouest (le Herta, le SC Tasmania et le Viktoria), l’Union se confronte à la concurrence déloyale de l’autre club de l’est, le Dynamo, soutenu par la Stasi (police politique soviétique de la RDA, pour les non-historiens). Celui-ci le pille dès lors qu’un bon joueur émerge, un peu à l’image du Real Madrid avec le Barça à la même époque. Oui mais voilà, Union n’a pas les mêmes ressorts que son homologue catalan et l’existence du club n’est consacré qu’à une seule chose : la survie.

Les derbies entre les deux rivaux berlinois sont électriques. Le riche Dynamo survole le football est-allemand : dix titres de champion, tous acquis de 1979 à 1988, et un trust incontestable. Pendant ce temps-là, l’Union vit tapie dans l’ombre, en attente de la gloire. Une qualification en coupe Intertoto en 1967, une victoire en coupe d’Allemagne de l’est en 1968 qui ne lui permet pourtant pas de disputer la coupe de l’UEFA pour des raisons géopolitiques (tensions est-ouest, guerre froide et printemps de Prague), une succession de montées et descentes : le club végète. Une nouvelle petite pige en coupe Intertoto en 1988 et une nouvelle descente plus tard, la réunification vient à nouveau bouleverser le football allemand.

La Bundesliga, ce rêve devenu réalité

Et dans l’équation de la réunification, les clubs est-allemands se retrouvent clairement perdants. Les deux premiers du précédent championnat (nommé Oberliga Nordost) accèdent à la Bundesliga, les équipes classées de la 3 à la 6ème place accèdent à la Bundesliga 2., tandis que les équipes restantes disputent des barrages pour accéder à cette même division. Les perdants et les deux derniers du championnat restent en Oberliga Nordost, qui devient la troisième division allemande.

Alors en seconde division, l’Union est reversé en Oberliga Nordost, dans laquelle elle va végéter jusqu’en 2001, malgré deux accessions sportives, qui lui furent refusées par la fédération allemande de football en 1993 et 1994. Pour sa première saison en seconde division, Union écrit l’une des plus belles pages de son histoire en se maintenant, tout en accédant à la finale de la coupe d’Allemagne (perdue 2-0 face à Schalke 04). Le club de la Ruhr étant déjà qualifié en Ligue des Champions via le championnat, les schlosserjungs se qualifient pour la première fois de leur histoire en coupe de l’UEFA. Une campagne qui les voit s’arrêter au second tour après une défaite face aux Bulgares du Litex Lovetch.

La suite est chaotique : relégué en troisième division en 2004, puis en quatrième division un an plus tard, le club remonte lentement dans les hautes strates du football allemand, sans pour autant en tutoyer les sommets. Il atteint à nouveau la Bundesliga 2. en 2009, et s’y « stabilise » pendant une dizaine d’années, flirtant tour à tour avec la promotion et la relégation. On met de gros guillemets cependant, puisque les remous sportifs et administratifs sont nombreux.

Et puis arrive cette saison 2018/2019. Invaincus pendant dix-sept matchs consécutifs, les hommes d’Urs Fischer, nommé entraîneur au début de l’exercice, parviennent à accrocher une 3ème place synonyme de barrages d’accession à la Bundesliga. La suite, on la connaît, et pour la première fois de sa riche mais tumultueuse histoire, l’Union fera partie de l’élite cette saison.

« Ce n’est pas le club qui a des supporters, mais les supporters qui ont un club »

La dimension supportériste de l’Union est, tel qu’on l’a dit précédemment, liée à la tradition ouvrière dont le club est issu. Face au puissant Dynamo, elle plie sans pour autant rompre, faisant preuve d’une résistance héroïque tant le rapport de force est déséquilibré. Les supporters en sont parties prenantes et s’opposent politiquement au régime communiste et à la Stasi, dont le Dynamo est donc un symbole sportif. Lors des derbies disputés dans l’antre de ce dernier, le Jahn-Sportpark, adossé au mur de Berlin, les supporters de l’Union attendent les coups-francs en leur faveur avec impatience : c’est l’occasion d’entonner un puissant « Die Mauer muss weg ! Die Mauer muss weg ! » (Virez le mur ! Virez le mur ! ), dont l’écho est facile à deviner, au nez et à la barbe d’Erich Milke, président du Dynamo et chef de la Stasi.

Le Stadion An der Alten Försterei accueille les matchs à domicile de l’Union depuis 1920. L’enceinte a pour tradition d’être un lieu d’expression privilégié pour le prolétariat, et l’était tout particulièrement sous le régime communiste. C’est un symbole du club, une relique, témoin de sa riche histoire, tant sportive que sociale et politique. Un antre qui aurait cependant pu connaître un bien plus triste sort lorsqu’en 2008, la fédération allemande le considère comme obsolète, vétuste, et donc plus adapté à l’organisation de rencontres de haut-niveau. Une menace-même à la pérennité du club, qui n’a alors ni les moyens de le mettre aux normes, ni la possibilité de compter sur le soutien de la ville de Berlin, surendettée. Le salut vient alors des supporters du club.

Pendant de nombreuses semaines, souvent prises sur leurs congés, plus de 2000 bénévoles mettent la main à la patte à raison de 140000 heures de travail cumulées, afin de sauver leur monument. Car à l’Union, « ce n’est pas le club qui a des supporters, mais les supporters qui ont un club ». L’enceinte de 22000 places est comme neuve et continue ainsi à se mêler à l’histoire si particulière d’un club dont les traditions supportéristes et sociales ne font qu’une.

On n’est pas germanophones non plus, mais les images parlent d’elles-mêmes…

La proximité avec les instances dirigeantes est unique : chaque année, un repas de Noël est organisé au sein même de l’enceinte du club, réunissant plusieurs dizaines de milliers de fidèles. En 2014, le stade avait été changé en salon géant, afin d’assister aux matchs de la Nationalmanschaft sur grand écran, installant des dizaines de canapés sur la pelouse.

Les fans des schlosserjungs n’ont donc pas attendu 2019 pour communier. Leur histoire est un héritage qu’ils portent avec fierté, à Berlin, où l’affluence moyenne dépassait les 96% cette saison, comme à travers l’Allemagne. A l’image de leur club, qui n’oublie jamais de rappeler que ses racines sont à l’est, jusque dans son hymne, entonné par la mythique Nina Hagen « Wir aus dem Osten […] Wir lassen uns nicht vom Westen kaufen » (Nous qui venons de l’est […] Nous ne nous laissons pas acheter par l’ouest). Il nous tarde de l’entendre résonner en Bundesliga. Eisern Union, Immer wieder Eisern Union*…

*L’union de fer, encore et encore l’union de fer…