Le monde du rap est un milieu plein de paradoxes. Argent, luxure et violence y côtoient amour, lyrisme et poésie. Et rares sont les artistes qui parviennent à se défaire des antagonismes et à trouver une voie univoque, claire, limpide. Parler bails de la street n’est pas incompatible avec le fait d’écrire un morceau pour sa dulcinée (même si c’est pas toujours très street cred). De même que parler gros biftons et train de vie opulent n’empêche pas de se montrer généreux, voir engagé.
Lomepal en a montré un bel exemple en ce début de semaine. Celui qui est devenu l’un des rappeurs les plus influents de l’Hexagone a en effet mis sa popularité au service d’une cause qu’il soutient depuis maintenant un an et demi : celle de « Lundi Simple ». Le concept est, comme son nom l’indique, très simple : « On cuisine des repas qu’on met dans des barquettes, on ramène chacun des affaires qui peuvent servir et on descend proposer ça aux gens qui dorment dans la rue », tel que l’explique sobrement le compte Instagram dédié. Tous les lundis, du moins une fois par semaine (ou plus, selon les forces en présence), et avec des règles qui tombent sous le sens (cuisiner des repas que l’on aimerait pour soi, respecter la chaîne du froid, respecter la dignité et la discrétion des personnes, utiliser un maximum de produits recyclables,…)
L’idée est donc à la portée de quiconque veut s’en donner la peine. Lancée à Paris, elle a gagné Rennes, Lille et Lyon, et s’étend désormais dans un grand nombre de villes, comme en témoigne le florissement des comptes dédiés à la cause sur les réseaux. Des réseaux qui sont le moteur principal de l’action, tel que l’explique son plus célèbre ambassadeur : « (Lundi Simple) va être un genre de plateforme de relais. Vous filmez vos préparatifs (…), on peut les reposter. En indiquant la ville, d’autres gens vont vous contacter pour le faire avec vous et ça va rendre plus fort chaque groupe. On peut changer plein de choses. (…) On ne sauvera jamais le monde, mais si on peut déjà adoucir certaines choses… »
Pour rejoindre l’aventure, il suffit donc de s’adresser aux pages dédiées sur Instagram ou Facebook. Ou de lancer ta propre initiative dans ta ville, si ce n’est pas encore fait.
L’humanitaire et le rap, entre promo et altruisme
Une initiative qui n’est pas sans rappeler la fondation des Restos du Cœur par Coluche en 1985, qui avait réussi à engager 5000 bénévoles pour 8.5 millions de repas distribués dès la première année. Si celle-ci est à souligner pour sa dimension altruiste et communicative, usant des réseaux sociaux avec pertinence pour créer un réseau de solidarité à travers sa fan base, elle n’est pas la première du genre.
Avant lui, bon nombre d’artistes se sont lancés dans des projets humanitaires. Certains ont prêté leur image pour soutenir des causes diverses et variées. La Sexion d’Assaut s’était ainsi investie aux côtés de l’UNICEF dans sa campagne contre le virus Ebola. De même pour Oxmo Puccino, qui avait réalisé un titre en faveur des droits de l’enfant, pour la même organisation. Les exemples en la matière font légion, et le milieu se veut parfois critique à l’encontre de ce genre d’entreprises, promptes selon lui à faire de la promo déguisée.
Une considération culpabilisante dont on ne s’embarrasse pas outre-Atlantique, où Beyonce, Jay-Z ou encore Flo Rida n’ont pas manqué de faire la une des médias pour leurs actions. Omettre le facteur « politique » de celles-ci est impossible, mais après tout, peut-on critiquer quelqu’un qui met son aura au service d’une cause, même s’il en tire, par conséquent, des bénéfices en matière d’image ? Si l’engagement est suivi de résultats probants, pourquoi toujours balancer l’argument de l’« humanitarian washing » ? (Oui, on vient d’inventer ce terme, et alors ?)
Dès lors, comment culpabiliser la Sexion d’Assaut qui, au-delà de cette association avec l’UNICEF, s’est également jointe au club de foot du Stade Malherbe de Caen et à la marque Clairefontaine, pour organiser une distribution de fournitures scolaires et de vêtements au Mali ? Maître Gim’s, son leader, a quant à lui créé une fondation pour favoriser l’accès à l’eau potable en Afrique. Pas mal pour des mecs qui ne font ça que pour la gloire…
D’un autre côté, on retrouve des actes plus discrets. Nombreux sont les artistes à avoir monté des projets discrets et/ou locaux, prenant véritablement le taureau par les cornes. En 2009, Diam’s lançait le Big Up Project, voué à améliorer le quotidien des enfants défavorisés en Afrique. Pourtant, force est de constater qu’en dépit de très bons résultats, le projet ne fait pas parler de lui outre mesure dans le milieu artistique, Diam’s séparant musique et humanitaire. A la tête de sa fondation, elle redevient donc Mélanie, et donne de son temps, autant que de son argent.
L’éducation, un cheval de bataille qui a du sens
Depuis 2016, Mac Tyer permet chaque année à plus de 500 familles d’Aubervilliers d’obtenir des fournitures scolaires, gouffre financier à chaque rentrée. Un projet d’une grande intelligence, puisqu’il s’attaque directement à l’un des plus grands vecteurs d’inégalités sociales : l’accès à l’éducation. Dans la même optique, le très engagé Kery James, et son association Apprendre, Comprendre, Entreprendre, Servir (ACES), octroient chaque année des bourses d’études aux jeunes issues des réseaux d’éducation prioritaire, comptant notamment sur le soutien d’Omar Sy et Grand Corps Malade.
Le projet de Soprano, qui a monté sa fondation pour venir en aide aux enfants de son pays d’origine, les Comores, à travers la distribution de vivres et de fournitures scolaires, suit une direction similaire. Autant de projets qui s’inscrivent dans la lignée de Human Education Against Lies, monté par l’un des pionniers du rap US, le grand KRS-One. Ce mouvement plus global, né dans les années 1990, favorise l’éducation comme réponse aux problèmes sociaux de manière générale : analphabétisme, délinquance, maladie, addiction, tout y est ciblé à travers un plan global, dédié aux personnes issues des quartiers les plus défavorisés. A travers celui-ci, KRS et ses bénévoles ont pu distribuer des milliers d’ouvrages littéraires et contribué, à leur échelle, à la diffusion du savoir.
Autant de projets qui ont du sens, pour des artistes ayant bien souvent connu ou du moins côtoyé la misère de l’exclusion sociale, de près ou de loin. Car face à celle-ci, il n’est pas de meilleur remède que l’instruction pour élever les hommes, les pousser à donner le meilleur de même.
Alors, que ce soit pour laver des consciences ou une image, il est des actes plus nobles que d’autres, mais aucun qui soit totalement vide et intéressé. L’important n’est pas de savoir si celui qui donne en tire des bénéfices, mais que son action ait des effets positifs et qu’elle fasse du bien à ses bénéficiaires. Et dès lors, le contrat est rempli.