Et oui, comme vous le savez sûrement, le peuple gaulois n’était pas uni sous une seule et même bannière. Une multitude de peuples occupait ce territoire que les romains appelaient Gallia : la Gaule. Certains s’alliaient les uns aux autres par intérêt économique ou encore militaire. Des « puissances locales » se dégagèrent ainsi, les plus documentées étant les Arvernes car ils composèrent une grande partie de l’armée qui résista à Jules César dirigée par Vercingétorix. Les Arvernes, dont le territoire correspond grossièrement à notre actuelle Auvergne (à laquelle ils donnèrent leur nom) avaient pour voisins à l’Est les Ségusiaves, qui nous intéressent aujourd’hui.

Un peuple bien entouré

Comme bien souvent à l’époque, il est difficile d’établir une cartographie précise de la zone d’influence des peuples mais ces derniers résidaient principalement sur le Forez, entourés par deux peuples plus importants : les Arvernes et les Eduens. Cependant le territoire était assez vaste puisqu’il s’étendait de source sûre des Monts du Forez à l’Ouest jusqu’à Lugdunum (Lyon) à l’Est, Rodumna (Roanne) au Nord et l’oppidum d’Essalois dans les Gorges de la Loire au sud du département. Et comme une carte vaut bien mille mots…

Carte montrant la zone d’influence des Ségusiaves, entourés des Arvernes (Est), des Eduens (Nord), des Ambarres (Ouest), des Allobroges et des Vellaves au Sud.

Leur capitale se trouvait au cœur du département actuel de la Loire : l’antique Forum Segusiavorum (la ville de Feurs aujourd’hui) dont il ne reste quasiment aucun monument. Pourtant, les sources romaines concordent pour désigner l’importance de cette ville : plus de 4 000 habitants et un théâtre gallo-romain ! Il devait être situé à proximité du Forum mais n’a pas été découvert à ce jour. Quelques pierres attestent de l’emplacement de la Curie (bâtiment administratif romain).

Une plaque attestant de la présence de la Curie – Crédit : Monumentum

Au sud, l’autre place forte de ce peuple était l’oppidum d’Essalois, il est aujourd’hui recouvert d’une forêt, à environ 100 mètres des ruines du château médiéval. Tout comme Feurs, ce site ne nous a laissé que très peu de vestiges architecturaux mais nous a rendu des éléments remarquables comme des vases, des outils, des bijoux et toutes sortes d’objets en fer et en bronze comme des pièces de monnaie ! Il reste des puits et quelques pierres de l’enceinte fortifiée, cachés aujourd’hui sous la végétation.

Crédit photos : Chambles.fr

La ville de Lyon fit également partie du territoire de ce peuple ! La fondation de Lyon, longtemps considérée comme romaine, est probablement le fait des Ségusiaves : des découvertes récentes (en 2014) sur la colline de Fourvière ont prouvé la présence de fortifications pré-romaines attestant, à défaut d’habitat, d’une présence militaire ! De son côté, la préfecture de Saint-Étienne (située à une trentaine de kilomètres d’Essalois) rend hommage au peuple Ségusiave par une plaque commémorative.

« Le pays des Ségusiaves a formé la cité romaine de Lyon puis le comté de Lyon et par scission le comté de Forez en 1173 »

Économie et Religion : pas les derniers !

Les Ségusiaves occupaient une position privilégiée de carrefour commercial avec la Méditerranée et en premier lieu Massilia (Marseille), notamment pour le commerce d’amphores de vin. Mais ils étaient également réputés pour leur artisanat. Encore une fois c’est l’oppidum d’Essalois qui nous a donné de nombreuses indications sur leur mode de vie. Entre autres : forges, travail du bois, du cuir ou encore du bronze.

Crédit photos : Chambles.fr

Ils commerçaient leur poterie avec Rome avant même d’être envahis par cette dernière. En échange, Rome leur envoyait des céramiques ou des amphores. Parfois, les poteries étaient simplement retravaillées par les artisans romains qui les renvoyaient en Gaule.

Crédit Photos : Chambles.fr

Les peuples gaulois utilisaient comme monnaie le potin. Chaque peuple avait ses variantes, comme nos braves Ségusiaves avaient la leur. Beaucoup d’exemplaires spécifiques ont été retrouvés à Feurs, à Essalois ou encore à Moingt.

En parlant de Moingt, ce village aujourd’hui fusionné avec Montbrison, fut nommé par les romains Aquae Segetae. Ce lieu était en fait un site sacré dédié à la divinité protectrice Segeta. Il s’agit d’une déesse des eaux vénérée très spécifiquement par les Ségusiaves dans le Forez. Aujourd’hui encore, la ville de Montrond-les-Bains est réputée pour ces eaux thermales. Du peu de connaissance qu’il nous reste sur le panthéon celte, Segeta était l’épouse du Dieu Lug, principale dieu de la mythologie gauloise. Et là, on peut faire le rapprochement : la ville de Lyon portait le nom de ce dieu (LUGdunum).

Un poids dédié à la déesse Segeta – Crédit : RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

À Moingt, les romains s’apercevront eux aussi de la qualité de ces eaux et installeront des thermes, dont il reste encore des vestiges.

Crédit : Loire-Forez Tourisme

Et dans l’histoire politique, ça donne quoi ?

Comme je l’ai dit en introduction, les peuples gaulois n’étaient pas tous unis, les uns se faisaient la guerre, les autres s’alliaient ensemble, etc… Cette désorganisation profita à la République Romaine et à César pour envahir d’abord le sud de la Gaule (et en faire une province romaine, la Narbonnaise) puis le reste du territoire.

« On demande aux Éduens et À leurs clients, les ségusiaves… »

Jules César, Commentaires sur la Guerre des Gaules, Livre VII, 75

Jules César, dans ses précieux Commentaires sur la Guerre des Gaules, nous décrit les peuples gaulois. Les Ségusiaves y sont mentionnés dans le Livre VII come tels : « On demande aux Éduens et à leurs clients, les Ségusiaves… » puis s’en suit une longue liste de peuples. Mais l’important est là : les Ségusiaves étaient clients (au sens de vassaux) du peuple Éduen.

Souvent Arvernes et Eduens se disputaient l’hégémonie territoriale de cette partie de la Gaule. Dans cette optique, les Eduens s’étaient donc créés une confédération puissante qui faisait du commerce avec Rome dont faisaient partie les Ségusiaves.

Carte de la Confédération Éduenne

En -58, le territoire Ségusiave est le premier au nord de la Narbonnaise à être envahi par les armées de César. Envahi… on se comprend ! En réalité, la fédération des Eduens avait de longue date signé un traité de paix et d’entre-aide militaire avec Rome contre leurs ennemis : les Arvernes. Beaucoup de membres de l’aristocratie étaient favorables à une romanisation du pays.

Ainsi, les Ségusiaves n’opposent pas de réelle résistance lorsque César traverse et retraverse leur territoire. Il y repassera en -52 après sa défaite à Gergovie (près de l’actuelle Clermont-Ferrand) puis en poursuivant l’armée coalisée jusqu’à Alésia.

La même année, Eduens et Ségusiaves se raviseront et prendront part à la rébellion de Vercingétorix. Ils seront partie prenante de l’armée qui vint au secours des assiégés à Alésia. Cependant, comme vous le savez, cette bataille sonnera la chute de Vercingétorix et le glas de la résistance gauloise.

Vercingétorix, le chef Arverne qui dirigea la rébellion gauloise rejointe par les Ségusiaves

Néanmoins, la défaite ne fut pas catastrophique pour les Ségusiaves. Aidés par leur passé d’allié avec Rome ainsi qu’appuyés par la chute des Arvernes, les élites Ségusiaves se sont très facilement adaptées et la région deviendra très vite une terre « gallo-romaine ». Les romains iront même jusqu’à leur accorder un statut privilégié de peuple libre : « Civitas Segusiavorum Libera ».

Ceci est une preuve de l’excellente relation qu’auront les Ségusiaves avec l’envahisseur romain : vous l’aurez compris, ce n’étaient pas les copains d’Astérix !

De cette fructueuse collaboration (aucune connotation, s’il vous plaît) sortira le fameux aqueduc du Gier. Il est le plus long des quatre aqueducs ayant acheminé l’eau à Lyon durant l’antiquité puisqu’il partait de Saint-Chamond. Une grande partie est toujours visible aujourd’hui dans les Monts du Lyonnais, à Chanopost plus précisément.

Une partie de l’aqueduc du Gier encore visible à Chanopost

Grâce à la romanisation, Feurs se développera de façon remarquable comme nous l’avons déjà évoqué : théâtre gallo-romain, centre administratif, commerce, etc… et donnera son nom à la région (le « pagus forensis » deviendra le Forez) avant de sombrer au III° siècle. Puis, la ville renaquît de ses cendres au Moyen-Age. Son influence restera limitée au Forez car à l’Est, Lyon commence déjà à se développer. Un jour, son statut de capitale lui sera dérobée par Montbrison, ville des Comtes de Forez.

Mais ça, c’est une autre histoire et les fidèles des flâneries de l’Histoire l’ont déjà vu !

Meilleurs vœux 2020 et merci d’avoir lu !