S’il est une épidémie qui fit date dans l’Histoire de l’Humanité, c’est bien la Peste Noire. On parlera d’ailleurs de pandémie, tant cette dernière sut atteindre toutes les régions du monde. Cette terrible période permit d’occasionner de nombreuses recherches et théories. La pandémie marqua tellement l’imaginaire collectif que toutes les disciplines se penchent sur cette période.

Petite immersion au cœur du XIV° siècle : celui de la Grand’Peste.

Des origines

Dans l’Histoire de l’Humanité, de nombreuses épidémies furent qualifiées de « peste » sans que ces dernières n’aient de réels liens entre elles. Ce terme pouvait ainsi désigner aussi bien de virulentes grippes que des varioles, typhus et toutes autres infections potentiellement dangereuses (et au Moyen Age, disons-le, fallait pas être fragile).

La véritable Peste Noire, celle qui débute en 1347 et ravage le monde les années suivantes, n’a pourtant d’après les spécialistes qu’une seule prédécesseuse bien connue avec laquelle elle partage la même bactérie, le bacille Yersinia pestis. Il s’agit de la Peste de Justinien, qui eut lieu près de 800 ans auparavant (à partir de 541). Néanmoins, la Peste médiévale fut d’une violence et d’une mortalité inouïe.

Le bacille de la Peste fut découvert par le scientifique Alexandre Yersin en 1894

Les scientifiques prêtent à la Peste une origine asiatique. Les guerres constituant un terreau favorable à la propagation d’épidémies, la lutte entre les mongols et les chinois (tiens, tiens, tiens…) favorise le développement de cette maladie. En 1346, la ville de Caffa (port marchand génois situé en actuelle Crimée) est assiégée par les mongols. Il n’en fallait pas moins à notre sombre amie la Peste pour se répandre par le biais de nos non moins amis les rats.

Représentation d’un siège mongol au XIII° siècle

Une autre théorie prétend que durant le siège, les mongols lançaient leurs cadavres infectés dans la ville assiégée (morbide n’est-ce pas ?). Fut-ce là la première guerre bactériologique ?

Des montagnes de morts

Gabriel de Mussis

À la fin du siège de Caffa, les marchands génois quittent la ville et reprennent leur commerce sans pression malgré les « montagnes de morts » que leurs avaient envoyé les mongols et qui désormais contaminent la ville. Ceci n’est là que le commencement : Constantinople (actuelle Istanbul), Messine, Gênes, Marseille ou encore Venise sont simultanément touchées… En quelques mois, l’ensemble du pourtour méditerranéen et bientôt de l’Europe est touché par ce mal, dont la propagation est favorisée par le manque d’hygiène des grandes agglomérations et relayée par les rats présents dans ces dernières.

Une diffusion et une mortalité extraordinaires

En Europe, la Peste se répand rapidement. Elle remonte le Rhône depuis Marseille jusqu’à Avignon. La ville est à l’époque la Cité des Papes et le centre de la chrétienté. Elle constitue donc un formidable carrefour européen permettant à la maladie de se répandre. L’ensemble du midi de la France est touché à la fin mars 1348. Paris est ravagée durant l’été de cette même année. Le port de Bordeaux emmènera la maladie en Angleterre les années suivantes.

La carte de diffusion de la Peste, année par année

Ce qui a choqué les contemporains, ce sont bien évidemment sa contagion et sa mortalité absolument effroyables. En effet, selon les pays, la Peste Noire tue 30 à 50% de la population (!!)… En quelques jours, le malade était emporté par une grave affection se présentant sous la forme de bubons noirs apparaissant sur l’ensemble du corps. Parfois, la Peste se manifeste seulement par une fatale infection pulmonaire.

La maladie fonctionnait par vagues : elle arrivait dans la région, faisait son triste ouvrage et s’en allait avant de revenir quelques mois plus tard et ce jusqu’en 1351. Des chiffres édifiants dans tous les pays européens (en certaines régions, le taux de mortalité atteint 70%). A titre de comparaison, la France actuelle perdrait 33,5 millions d’habitants… Pour l’instant, le Coronavirus est loin d’être aussi mortel.

L’accumulation des décès offre de nombreuses scènes de désolation comme ici, à Tournai

Certaines régions sont épargnées comme les pays de l’Est (la Pologne est entièrement épargnée, par exemple) ou encore les Pyrénées.

L’Italie est l’un des premiers pays les plus touchés mais comporte paradoxalement une région miraculée : celle de Milan. Certaines cités parvinrent en effet à éviter le passage de la Peste en s’isolant complètement du reste du monde : Milan s’est ainsi enfermée dans ses remparts, telle une ville assiégée. Bien sûr, des exclusions drastiques étaient pratiquées afin d’éviter toute contagion. C’est à cette époque qu’est apparue la célèbre tenue des « médecins de la Peste ».

Une gravure de Paul Fürst (XVII°) représente un médecin de Rome durant la Peste Noire

Très peu de remèdes miracles furent néanmoins trouvés par la médecine de l’époque. De nombreux hommes, fussent-ils chrétiens ou musulmans, eurent recours à la magie : talismans, allumettes et autres éléments superstitieux (comme les djinns en Orient). Quand il n’y a plus d’espoir, on se raccroche à tout ce que l’on peu…

De bien tristes conséquences

La Peste Noire a affecté tous les aspects de la société. L’économie déjà en difficulté est absolument stoppée par le manque de main d’œuvres (les paysans, souvent touchés par les famines, étaient des populations très fragiles). La plupart des constructions massives en cours (comme les cathédrales) sont laissées de côté tandis que des villages entiers sont rayés de la carte.

Et comme les bonheurs ne viennent jamais seuls, c’est pendant la Guerre de Cent Ans que la Peste Noire fit son apparition. Cette guerre en fut quelque peu affectée puisqu’Anglais et Français décidèrent de prolonger leur trêve en 1348. En effet, la lutte pouvait paraître dérisoire dans la mesure où la maladie occasionnait plus de morts dans les deux camps que la guerre en elle-même.

Du côté musulman, le sultan marocain Abû al-Hasan connaît une défaite contre les tribus tunisiennes à Kairouan en avril 1348, alors que son armée est ravagée par la Peste.

Le célèbre historien arabe du XIV° siècle, Ibn Khaldoun, évoque cette situation désastreuse aux quatre coins du globe :

«Une peste terrible vint fondre sur les peuples de l’Orient et de l’Occident ; […] La culture des terres s’arrêta, faute d’hommes ; les villes furent dépeuplées, les édifices tombèrent en ruine, les chemins s’effacèrent, les monuments disparurent ; les maisons, les villages, restèrent sans habitants ; les nations et les tribus perdirent leurs forces»

Comme l’être humain aime à s’autodétruire lorsqu’il panique, il lui fallait un bouc émissaire : la population juive (oui, déjà). Des émeutes antisémites spontanées et institutionnalisés eurent lieu en Europe, accusant ces derniers d’avoir empoisonné les puits des villes.

De très (trop) nombreuses populations juives sont assassinées, jetées dans les puits ou encore brûlées vives. Le roi de France lui-même fait traduire en justice les juifs. À Strasbourg et en Allemagne, des milliers de juifs sont brûlés vifs dans les différents pogroms (à Mayence, ce sont près de 6 000 juifs qui sont exécutés).

Le pogrom de Strasbourg en 1349, illustration d’Émile Schweitzer

Dans cette hystérie collective généralisée, seul le Pape Clément VI reste lucide et défend les Juifs d’Avignon, les estimant aussi touchés que les chrétiens par la maladie. Il fut bien le seul…

La Peste, l’héritage

La Peste Noire choqua en son temps et continue encore aujourd’hui d’intriguer médecins, historiens et scientifiques.

À l’époque, elle donna naissance à une forme de « culture de la mort » qui contribue encore aujourd’hui à la vision très péjorative du Moyen Âge dans l’imaginaire collectif (la longue période médiévale n’opère pas un réel recul de la civilisation contrairement aux idées reçues).

Les arts n’en furent pas avares : la poésie médiévale (chrétienne et musulmane) montre une omniprésence de la mort, du deuil ou encore de la maladie. Dans la peinture et les fresques, une certaine lucidité se dégage des œuvres qui tentent d’offrir une morale :

  • Les « Triomphe de la Mort« , peintures qui se développèrent le siècle suivant furent inspirés de ces sombres années. Ils montrent souvent des morts l’emporter sur des vivants
  • les « Dit des Trois morts et des trois vifs » : des œuvres littéraires dans lesquelles des morts parlent à des vivants, leur prouvant la brièveté de la vie sur terre.
  • les « Danses macabres » attestent d’une prise de conscience de la fragilité de la vie humaine ( et au passage de la futilité de la distinction sociale, du pouvoir et de la richesse). En effet, le clergé comme les nobles et les paysans sont tous égaux devant la mort. Les multiples représentations montrent d’ailleurs toutes les catégories sociales danser avec des squelettes.
Une danse macabre assez évocatrice – Guyot Marchant, 1486

Cinq siècles après, l’auteur russe Alexandre Pouchkine consacra un poème à la Peste alors que son pays subit une terrible épidémie de choléra (1830-1831). Dans L’Hymne en l’honneur de la Peste, les strophes montrent l’angoisse de vivre une pandémie meurtrière alors que la vie et les fêtes humaines doivent continuer. Voici la conclusion de ce poème qui sera aussi la mienne :

A toi, Peste, à toi soit louange !
A nous point n’est la tombe étrange,
Ton appel ne peut nous troubler.
Moussent nos verres d’un seul geste,
Fille-fleur, ce baiser volé
Nous donne peut-être la Peste

Merci d’avoir lu, restez loin du Coronavirus et à très bientôt !