En 2016, le dernier guérillero communiste dépose les armes devant le gouvernement colombien. Créées en 1964 en soutien des Républiques autonomes menacées par l’Etat colombien, les Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes- Armée du Peuple (FARC) ont renoncé à l’usage de la violence au XXIème siècle. Groupe qualifié de terroriste par l’ONU, activement recherché par les forces policières mondiales, les FARC se constituent aujourd’hui en parti politique, parlementariste et pro-République , FARC devenant l’acronyme de Force Alternative Révolutionnaire Commune.
Renouveller les modes d’action
Les anciens meneurs du maquis tenu depuis plus de 50 ans au fin fond des montagnes des Andes débattent et votent maintenant à main levée dans leur costume 3 pièces, au sein des institutions républicaines colombiennes. Les nostalgiques, mais lucides face à l’échec de la guérilla, se reconvertissent dans l’économie solidaire, le café bio et les figurines souvenirs de Manuel Marulanda, fondateur des forces révolutionnaires, dans les « espaces territoriaux de formation et de réincorporation » (ETCR). Reste les irréductibles. Ceux qui ne veulent se résigner, pour qui, toujours, la révolution doit être permanente quels qu’en soient les coûts. La tentation de reprendre les armes est forte, facile. En août 2019, le négociateur de l’accord de paix de 2016 et ex numéro deux des FARC, Luciano Marlin (alias Ivan Marquez) déclare sur YouTube que le gouvernement aurait violé l’accord, justifiant un retour à l’action violente, et appelle donc logiquement l’ensemble des FARC à reprendre les armes. Il est d’ailleurs entouré de grandes figures du mouvement tels que El Paisa ou Jesus Santrich (leurs alias révolutionnaires) « nous n’avons jamais été vaincus militairement ni idéologiquement. C’est pour ça que la lutte continue » justifient-ils.
Dissidence solitaire
Mais ils semblent bien seuls. « plus de 90% des anciens guérilleros continuent de croire à la paix » a déclaré l’ancien président Juan Manuel Santos, prix Nobel de la paix 2016. Surtout, le leader du parti démocratique FARC et grande figure du mouvement révolutionnaire, Timochenko, rejette en bloc l’appel au retour de la violence. « Appeler à la lutte armée dans la Colombie d’aujourd’hui est une erreur délirante ». Faisons alors un petit commentaire de texte. Le mot important, c’est bien « aujourd’hui« . Pour Timochenko, l’action directe et violente est un mode d’action parmi d’autres, que les volontés de paix, de dialogue et de démocratie par le bas, normalisées internationalement, rendent inefficace. Devenir démocratique ne signifie pas forcément abandonner l’idéologie communiste et altermondialiste. Cela signifie plutôt participer au débat, dans le cadre prévu par la République, certes, mais dans un cadre valorisé, médiatisé. Un débat qui de façon cynique, par la démocratie d’opinion, rend le message des FARC bien plus audible et visible que par les attentas et l’action violente. De là à dire que le parti politique tend vers le populisme, il n’y a qu’un pas. L’avenir nous dira si il fut présomptueux de même songer à le franchir.
CARLOS ALBERTO, EX GUÉRILLERO FARC
» La guerre n’a plus sa place en Colombie. C’est parce que nous l’avons compris que nous avons décidé de déposer les armes et de poursuivre la lutte sur le terrain politique »
Idéologues contre tactiques politiciennes
La nostalgie du bon vieux temps du maquis n’est pas la seule raison pour laquelle certains Révolutionnaires veulent reprendre les armes. Dans les ETCR, genre de réserves amérindiennes pour communistes, les conditions sont précaires, l’économie sociale et solidaire n’étant pas la meilleure façon de se réintégrer dans la société urbaine et dans la Polis, que certains ont passé une vie à rejeter et combattre. Depuis l’accord de 2016, 137 anciens FARC ont été tué. Le président de la République Ivan Duque n’a en rien changé de posture vis à vis du groupe, l’acronyme terroriste ou non. Encore aujourd’hui, il offre une prime de 30 000 euros à celui qui capturera un des ex-leaders, comme Ivan Marquez. En associant les réminiscences de l’Armée du peuple à la criminalité et au narcotrafic, en poursuivant la traque, les autorités colombiennes veulent rappeler à leurs citoyens que les FARC ne sont pas une idéologie comme les autres, qu’ils ont un héritage sanglant qu’un costume 3 pièces ne peut à lui seul effacer.
Mais l’esprit des FARC c’est aussi l’histoire d’une résistance, d’une alternative possible, d’une utopie égalitariste, le pouvoir de dire non. Déposer les armes, c’est se résilier, se plier à l’autorité unique du gouvernement central, c’est à la fois comprendre l’idéal démocratique contemporain, et succomber sous le poids de son corollaire qu’on dit inévitable, le libéralisme.